Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/81

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longuement qu’il n’était nécessaire, je dois vous prier de faire attention, en homme sage, à ce que je vais vous dire. Vous savez la disposition que jeunes gens et jeunes filles ont naturellement à causer, à plaisanter, à jouer les uns avec les autres, et il résulte souvent des passions plus sérieuses qu’on appelle aimer par amour. J’espère que si nous voyageons ensemble, nous parviendrons à faire comprendre à votre jeune homme qu’Anne de Geierstein ne peut, sans qu’il blesse les convenances, devenir l’objet de ses pensées et de ses attentions. »

Le marchand rougit de colère, ou peu s’en fallut : « Je ne vous ai point demandé à faire route de compagnie, seigneur landamman… C’est vous-même qui avez offert de m’accompagner, dit-il. Si mon fils et moi, nous sommes depuis devenus les objets de vos soupçons, nous continuerons très volontiers notre route séparément. — Voyons, ne vous fâchez pas, mon digne hôte. Nous autres Suisses, nous ne concevons jamais de soupçons téméraires, et afin de n’en pas concevoir, nous parlons des circonstances qui pourraient les exciter, avec plus de franchise que vous ne le faites ordinairement dans vos pays civilisés. À vous dire la vérité, bien qu’elle puisse blesser l’oreille d’un père, lorsque je vous proposai de voyager de compagnie avec moi, je regardais votre fils comme un jeune homme doux, tranquille, qui était, jusqu’alors du moins, trop timide et trop froid pour s’attirer les respects et l’affection des jeunes filles. Mais quelques heures ont suffi pour nous le montrer sous un jour qui ne manque jamais de les intéresser. Il est parvenu à bander l’arc, entreprise crue long-temps inexécutable, et à laquelle une tradition populaire attache une sotte prophétie. Il a eu l’esprit de composer des vers, et il sait sans aucun doute se recommander par d’autres perfections qui séduisent aisément les jeunes personnes, mais qui ne sont que faiblement estimées par des hommes dont la barbe, comme la vôtre et la mienne, seigneur marchand, commence à grisonner. Maintenant vous devez sentir que, si mon frère s’est brouillé avec moi uniquement parce que je préférais la liberté d’un citoyen suisse à la condition ignoble et servile d’un courtisan d’Allemagne, il n’approuvera point qu’on ose jeter les yeux sur sa fille, lorsqu’on n’a point l’avantage d’un sang noble, ou, comme il dirait, lorsqu’on s’est déshonoré en se livrant au commerce, en cultivant la terre… bref, en s’adonnant à une profession utile. Si votre fils aimait Anne de Geierstein, il se préparerait des dangers et des désappointements. Eh bien ! à pré-