Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et ici, en dépit des scrupules de son compagnon, il termina sa courte oraison latine en puisant à longs traits dans sa gourde.

— C’est là aussi ce que vous appelez une partie de vos privilèges, dit le Sarrasin ; et tandis que vous mangez avec la voracité des animaux, vous vous abaissez encore au dessous de la condition des brutes en buvant ce qu’elles refusent elles-mêmes.

— Apprends, ignorant Sarrasin, » reprit le chrétien sans hésiter, « que tu blasphèmes les dons de Dieu dans les propres termes de ton père Ismaël. Le jus de la grappe a été donné à celui qui veut en faire un usage modéré pour réjouir son cœur après ses travaux, le fortifier dans la maladie, et le consoler dans la tristesse. L’homme qui sait en jouir de cette manière doit remercier Dieu de sa coupe comme de son pain quotidien, et celui qui abuse de ce don du ciel n’est pas plus fou dans son ivresse que toi dans ton abstinence. »

L’œil perçant du Sarrasin s’enflamma de colère à ce sarcasme, et sa main chercha la garde de son poignard ; mais ce ne fut qu’une pensée momentanée, et qui s’évanouit devant le souvenir de la force du champion auquel il avait affaire, et de la lutte désespérée dont ses membres et ses nerfs se ressouvenaient encore. Il se contenta donc de continuer la discussion en paroles, comme il était plus opportun pour le moment.

« Tes paroles, ô Nazaréen, pourraient faire naître la colère, si ton ignorance n’excitait la compassion. Ne vois-tu pas, mortel plus aveugle qu’aucun de ceux qui demandent l’aumône à la porte de la mosquée, que la liberté dont tu te vantes est restreinte dans tout ce qu’il y a de plus cher au bonheur de l’homme, dans sa vie privée : en effet, ta loi, si tu t’y conformes, te lie par le mariage à une seule compagne, qu’elle soit malade ou en bonne santé, stérile ou féconde, qu’elle apporte la consolation et la joie, ou la discorde et le chagrin à ta table et dans ton lit. Voilà, Nazaréen, ce que j’appelle un esclavage ; tandis que le Prophète assigne au fidèle sur la terre le privilège patriarcal de notre père Abraham et de Salomon, le plus sage des hommes, en nous donnant ici-bas un choix de beautés au gré de nos désirs, et au delà du tombeau un paradis de houris aux yeux noirs.

— Par le nom de celui que je vénère le plus dans le ciel, dit le chrétien, et par celle qui est l’objet de mon culte sur la terre ! tu n’es qu’un infidèle livré à l’aveuglement et à l’erreur. Le cachet de diamant que tu portes à ton doigt, tu le regardes sans doute comme d’une valeur inestimable ?