Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/111

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vait pour Douglas une terreur presque instinctive, et soupçonnait la loyauté du brave, mais inconstant comte de March. Mais ses sentiments à l’égard de ces divers personnages étaient si mêlés et si compliqués, que de temps à autre ils paraissaient entièrement différents de ce qu’ils étaient en réalité ; et selon l’influence qui avait été la dernière exercée sur son esprit flexible, le roi pouvait devenir de père indulgent, père sévère et même cruel ; de frère confiant, frère jaloux ; de souverain doux et bienveillant, tyran méfiant et colère. Comme le caméléon, son faible esprit réfléchissait la couleur du caractère plus ferme dont il empruntait pour l’instant les lumières et les secours. Et quand il quittait l’avis d’un membre de sa famille pour prendre conseil d’un autre, ce n’était pas chose extraordinaire que de voir un changement total dans l’administration, à la fois préjudiciable à la réputation du roi et dangereux pour la sûreté du royaume.

Il s’ensuivit naturellement que le clergé de l’Église catholique obtint une grande influence sur un homme dont les intentions étaient excellentes, mais la résolution éminemment incertaine. Robert était tourmenté non-seulement par la conscience des erreurs qu’il avait réellement commises, mais encore par les craintes accablantes qui, à propos de peccadilles, naissent dans un esprit timide et superstitieux. Il est donc à peine nécessaire d’ajouter que les ecclésiastiques de toutes classes avaient un grand ascendant sur ce prince facile, puisqu’à cette époque leur influence était telle, que peu ou point de personnes y échappaient, quel que fût d’ailleurs leur caractère… Nous revenons maintenant à notre histoire, après cette longue digression sans laquelle ce que nous avons à raconter aurait pu n’être pas bien compris.

Le roi s’était dirigé péniblement vers le fauteuil chargé de coussins et surmonté d’un dais, qui avait été préparé pour lui, et s’y laissa tomber avec plaisir, comme un homme indolent qui avait été quelque temps retenu forcément dans une position incommode. Lorsqu’il fut assis, les traits nobles et vénérables du bon vieillard exprimaient la bienveillance. Le prieur, qui se tenait debout en face du fauteuil royal, avec un air de profonde déférence, qui déguisait la hauteur naturelle de son port, était un homme entre quarante et cinquante ans, mais sa chevelure conservait, tout à fait intacte, sa teinte noire et brillante. Des traits fins et un regard pénétrant attestaient les talents par lesquels le