Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/121

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rênes ; il se résolut à attendre une occasion plus propice pour obtenir les sinistres avantages que de nouvelles querelles entre le roi et le jeune prince devaient infailliblement lui procurer.

Cependant le roi Robert, craignant que son frère ne reprît le pénible sujet auquel il venait d’échapper, dit à haute voix au prieur des dominicains : « J’entends le galop d’un cheval. La place où vous êtes domine la cour, révérend père, veuillez voir par la fenêtre, et nous dire qui vient là… n’est-ce pas Rothsay ? — C’est le noble comte de March avec sa suite, dit le prieur. — Ses gens sont-ils nombreux ? demanda le roi. Viennent-ils jusque dans la cour ? »

Au même instant, Albany murmura à l’oreille du roi : « Ne craignez rien. Les Brandanes[1] de votre maison sont sous les armes. »

Le roi remercia d’un signe de tête, tandis que le prieur, toujours à la fenêtre, répondit à la question qui lui était adressée. « Le comte est accompagné par deux pages, deux gentilshommes et quatre valets. Le page le suit dans le grand escalier, portant l’épée de Sa Seigneurie. Les autres font halte dans la cour, et… Benedicite ! que signifie cela ?… Voici une chanteuse ambulante, avec sa viole, qui se prépare à chanter sous les royales fenêtres, et dans le cloître des dominicains, comme elle le ferait dans une cour d’auberge ! Je m’en vais la faire déguerpir à l’instant. — Non, mon père, dit le roi. Permettez-moi de demander grâce pour la pauvre vagabonde. La race errante qui exerce ce que l’on appelle la gaie science est sujette à des privations et à des malheurs qui contrastent étrangement avec ce nom ; et en cela, ces infortunés ressemblent à un monarque que tout le monde salue d’acclamations joyeuses, tandis qu’il demande en vain à leurs familles l’obéissance et l’amour que le plus pauvre villageois est sûr de trouver dans la sienne. Ne chassez donc pas la pauvre musicienne, mon père ; qu’elle chante si elle veut pour les valets et les soldats qui encombrent la cour. Cette distraction empêchera peut-être plus d’une querelle parmi des hommes qui appartiennent à des maîtres si indisciplinés et si ennemis. »

Ainsi parla le prince fort bien intentionné, mais, hélas ! bien faible d’esprit ; et le prieur s’inclina en signe d’obéissance. Au mo-

  1. Les habitants de l’île Bute, une des Hébrides, s’appelaient Brandanes. On ignore l’origine précise de ce nom. Cette île, dit Walter Scott, était le patrimoine propre du roi, et les gens du pays formaient sa garde personnelle. a. m.