Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/19

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peut-être le monde puisse offrir, est, ou plutôt était un paysage qu’on voyait d’un lieu appelé les Wicks de Beglie. On appelait ainsi une espèce de niche où le voyageur arrivait après avoir parcouru depuis Kinross une contrée stérile et sans intérêt. De cette niche, formant un lieu de repos sur le sommet d’une éminence escarpée qu’il avait montée graduellement, il voyait s’étendre sous ses pieds la vallée du Tay, traversée par cette large et majestueuse rivière, la ville de Perth avec ses deux vastes pelouses, ses clochers et ses tours ; les montagnes d’Inoncrieff et de Kinnoul s’élevant par une pente douce de rochers pittoresques et couverts de bois ; les riches bords du fleuve garnis d’élégantes maisons ; et la vue éloignée des hauts monts Grampiens, rideau qui borde au nord ce paysage exquis. Le changement de la route qui, à la vérité, sert merveilleusement les correspondances, prive de ce magnifique point de vue ; et la perspective ne se déploie à l’œil que plus graduellement et plus partiellement, quoique les parties en semblent encore fort belles. Nous pensons qu’il existe encore un sentier praticable par lequel on peut arriver à la petite esplanade des Wicks de Beglie ; et le voyageur, en quittant son cheval ou sa voiture, et en marchant quelques centaines de pas, peut toujours comparer le paysage véritable à l’esquisse que nous avons voulu lui en tracer. Mais il n’est pas en notre pouvoir de communiquer ni même d’imaginer le charme exquis que la surprise donne au plaisir quand se développe une vue si splendide au moment où l’on s’y attend le moins, comme l’éprouva Chrystal Croftangry quand il contempla pour la première fois cette scène incomparable.

Un étonnement puéril, il est vrai, entrait dans mon ravissement ; car je n’avais pas plus de quinze ans ; et comme c’était la première excursion qu’on m’avait permis de faire sur un mien bidet, j’éprouvais à ce moment le bonheur de l’indépendance, et cette espèce d’inquiétude que le jeune homme le plus résolu ressent toujours quand il vient d’être abandonné à son inexpérience. Je me rappelle que je tirai les rênes sans le vouloir, et m’arrêtant soudain, je regardai la scène qui s’étendait devant moi, comme si j’avais eu peur qu’elle ne changeât aussi vite que celle des théâtres, avant que j’eusse pu en observer distinctement les diverses parties, et me convaincre que tout cela était réel. Depuis cette heure, qui a vu s’écouler déjà plus de cinquante ans, le souvenir de cet inimitable paysage a exercé la plus forte in-