Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/448

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commander aux éléments ?… N’ai-je pas bravé les ondes sans qu’elles me noyassent, et regagné le bord sans qu’elles s’ouvrissent pour me dévorer ? Est-il un mortel capable de mettre un frein à ma volonté ? — Il déraisonne, hélas ! dit Catherine. Hâtez-vous d’appeler à son secours. Il ne me fera point de mal ; mais je crains qu’il n’attente à sa propre vie. Voyez comme il regarde ce torrent qui rugit ! »

La chanteuse se hâta d’obéir ; et l’esprit égaré de Conachar sembla calmé dès qu’elle fut partie. « Catherine, dit-il, maintenant qu’elle n’est plus là, je te dirai que je te reconnais… Je sais combien tu aimes la paix et détestes la guerre, mais écoute… J’ai, plutôt que d’appliquer un seul coup à mon ennemi, abandonné tout ce qu’un homme a de plus cher… J’ai perdu honneur, réputation, amis… et quels amis !… » continua-t-il en se couvrant la figure de ses mains… « Oh ! leur amour surpassait l’amour d’une femme ! Pourquoi retiendrais-je mes larmes ?… Tous connaissent ma honte… tous peuvent voir ma douleur ! Oui, tous la peuvent voir, mais qui peut en avoir pitié ?… Catherine, tandis que je descendais la vallée en courant comme un fou, hommes et femmes appelaient la honte sur moi !… Le mendiant à qui je jetais une aumône pour en acheter une bénédiction, la repoussait avec dégoût, et m’appelait lâche ! chaque cloche qui sonnait redisait à mon oreille : « Honte à l’infâme poltron ! » Les animaux sauvages dans leurs mugissements et leurs bêlements… les vents rapides dans leurs sifflements… les eaux courroucées dans leurs fracas, criaient : « Fi ! c’est un lâche !… » Les neuf fidèles frères me poursuivent encore ; ils crient d’une voix faible : « Frappe au moins un coup pour notre vengeance, nous sommes tous morts pour toi. »

Tandis que le malheureux jeune homme déraisonnait ainsi, un bruissement retentit dans les buissons. « Il n’y a qu’un moyen, » s’écria-t-il en s’élançant sur le parapet, en promenant des regards effrayés sur le taillis où se glissaient deux ou trois domestiques, avec l’intention de le saisir. Mais à l’instant où il aperçut une forme humaine sortir des buissons, il agita ses mains d’un air insensé au-dessus de sa tête, en criant : « Bas air, Éachin ! » Il se jeta dans le précipice, au fond duquel bouillonnait la cataracte.

Il n’est pas besoin de dire que tout, excepté un flocon du duvet du chardon eût été mis en pièces dans une pareille chute. Mais la rivière était grosse, et les restes de l’infortuné montagnard ne furent jamais retrouvés. Différentes traditions sont répandues sur cet événement. On raconte que le jeune chef du