Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/238

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Saint-Ronan, pour jouir du bonheur que l’hymen calédonien lui avait procuré, un peu malgré lui, dans la personne de mistress Rachel Bonnyrigg. Comme il possédait une malle-poste parfaitement conditionnée, et ne différant en rien de celle de Sa Majesté si ce n’est qu’elle versait plus souvent, son influence auprès d’une certaine classe de gens était irrésistible, et le laird de Saint-Ronan, ayant le plus d’esprit des deux, s’était arrangé de manière à recueillir tout le profit de la considération attachée à son amitié.

Ces deux partis rivaux se balançaient si également, que le succès de l’un ou de l’autre était souvent déterminé par le cours du soleil. Ainsi, dans la matinée, lorsque lady Pénélope conduisait son troupeau dans la plaine ou sous les ombrages épais, soit pour visiter les ruines de quelque monument des temps anciens, soit pour faire un déjeuner en pique-nique, pour gâter du papier à faire de mauvais dessins ou estropier de bons vers en les psalmodiant, en un mot,

Pour rêver, déclamer, folâtrer dans les champs,


son empire sur les flâneurs semblait incontestable et absolu, et tout était entraîné dans le tourbillon dont elle formait le pivot et le centre ; les chasseurs même et les buveurs étaient quelquefois forcés de suivre le torrent, font en grognant et se moquant de ses fêtes solennelles, et osant même exciter les plus jeunes nymphes à rire aux éclats lorsqu’elles auraient dû prendre un air sentimental. Mais après dîner la scène changeait, et les plus agréables sourires de lady Pénélope, ses plus douces invitations ne réussissaient pas toujours à entraîner le parti neutre de la compagnie dans le salon où l’on prenait le thé ; de sorte que sa société se réduisait à ceux que leur santé ou leur bourse exilait de la salle à manger, réunis aux plus dévoués et aux plus zélés de ses sujets et de ses partisans. La constance de ces derniers même était sujette à se laisser débaucher. Son poète lauréat, en faveur de qui elle fatiguait chaque nouveau venu pour des souscriptions, se débarrassa de sa dépendance au point de chanter devant elle, à souper, une chanson un peu équivoque ; et son premier peintre, qui était employé à enrichir un exemplaire des Amours des plantes, se laissa un jour entraîner par les suites d’un bon repas à un tel excès de courage[1] que lady Pénélope, ayant voulu lui administrer sa dose accoutumée de critiques, non seulement il contesta brusquement la compétence de la dame, mais il alla même

  1. Pot valour, dit le texte, pour désigner un homme qui n’a de courage que quand il a tâté la bouteille. a. m.