Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnie, j’ai parlé… — Pour deux, s’il plaît à Votre Seigneurie, interrompit lady Binks. J’entends, » ajouta-t-elle en adoucissant l’expression, « pour vous et pour moi. — Je serais fâchée, répliqua lady Pénélope, d’avoir parlé pour une personne qui peut s’exprimer elle-même d’une manière aussi piquante. Je le répète, on s’est trompé sur le compte de cet homme ; je doute qu’il soit artiste, ou, s’il l’est, il ne peut travailler que pour quelque encyclopédie ou quelque recueil de ce genre. — Je doute aussi qu’il soit un artiste de profession, dit lady Binks. S’il en est ainsi, ce doit être un artiste du premier rang, car j’ai rarement vu un homme mieux élevé. — Il y a des artistes très bien élevés. C’est une profession honorable. — Certainement ; mais ceux d’une classe inférieure ont souvent à lutter contre la pauvreté et la dépendance. Dans la société, ils sont comme les commerçants en présence de leurs pratiques ; et c’est un rôle difficile à soutenir. Aussi leur en voyez-vous jouer plusieurs : timides et réservés lorsqu’ils ont la conscience de leur mérite bruyans et fantasques pour montrer leur indépendance… importuns et hardis pour faire preuve d’aisance… et quelquefois obséquieux et rampans, lorsqu’ils se trouvent avoir l’esprit bas et servile. Mais il est rare que vous les voyiez tout-à-fait à leur aise ; et en conséquence je tiens ce M. Tyrrel pour un artiste de la première classe, complètement au dessus de la nécessité de se ravaler en quêtant des protecteurs, ou bien, comme je le disais, il n’est point artiste de profession. »

En ce moment, lady Pénélope jeta sur son interlocutrice ce regard que Balaam doit avoir laissé tomber sur son âne, lorsqu’il découvrit que cet animal était doué de la capacité d’argumenter avec lui. Elle murmura entre ses dents :

Mon âne parle, et même il parle bien.


Mais évitant l’altercation que lady Binks paraissait disposée à entamer, elle répliqua d’un air enjoué : « Bien, ma chère Rachel ! nous ne nous prendrons pas aux cheveux pour cet homme… Je crois même que votre bonne opinion sur son compte lui donne une nouvelle valeur à mes yeux. Nous verrons ce qu’il est en réalité. Qu’en dites-vous, Maria ? — En vérité, chère lady Pénélope, » répondit miss Diggs, dont nous avons déjà fait connaître le babil, « c’est un très bel homme, quoique son nez soit trop gros et sa bouche trop grande… mais ses dents sont comme des perles… et il a de si beaux yeux !… surtout lorsque Votre Seigneurie lui par-