Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/348

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les temps passés et des circonstances que vous semblez avoir oubliées : il finirait par exprimer l’humble opinion que, si Harry Jekill est prié aujourd’hui de rendre service au noble lord susdit, Harry a d’avance sa récompense en poche. Mais, moi, je ne raisonne pas ainsi : je vais donc me soumettre aux circonstances, et vous conter toute l’histoire, quoique un peu ennuyeuse, dans l’espoir de vous mettre si bien sur la trace que vous n’aurez plus ensuite qu’à courir. « Francis, cinquième comte d’Étherington, et mon très honoré père, était ce qu’on appelle un homme fort singulier, c’est-à-dire qu’il n’était ni sage ni fou… trop raisonnable pour se jeter à l’eau, il aurait cependant pu, dans un accès de colère, être assez fou pour y jeter les autres. Ce père était sous les autres rapports un bel homme, un homme accompli, ayant une certaine expression de hauteur dans la physionomie, mais singulièrement agréable lorsqu’il le voulait ; bref, c’était un homme qui pouvait réussir auprès du beau sexe.

« Lord Étherington, voyageant en France, donna son cœur, et même, comme l’ont prétendu certaines personnes, sa main à une jolie orpheline, Marie de Martigny. De cette union naquit, dit-on (car je suis déterminé à n’avoir aucune certitude sur ce point), cet être incommode, Francis Tyrrel, comme il se nomme, mais, comme j’aime mieux le nommer, Francis Martigny, ce dernier nom favorisant mes vues, de même que le premier peut-être seconde davantage ses prétentions. Or, je suis trop bon fils pour souscrire à la régularité prétendue du mariage entre mon honorable père et la jolie orpheline, parce que mon susdit père, à son retour en Angleterre, épousa, à la face de l’église, ma très affectionnée et très bien dotée mère, Anne Bulmer de Bulmerhall, de laquelle heureuse union je naquis, moi, Francis Valentin Bulmer Tyrrel, légitime héritier des fortunes réunies de mon père et de ma mère, attendu que j’étais possesseur incontestable de leurs noms. Mais le noble et riche couple ne fit pas bon ménage, et la mésintelligence augmenta encore lorsque mon père fit venir de France cet autre Sosie, ce malheureux Francis Tyrrel l’aîné, pour qu’il fût élevé avec moi.

« Maintes disputes matrimoniales s’élevèrent entre le noble lord et l’illustre dame : un jour entre autres, ma mère, irritée de cette inconvenante réunion du légitime et de l’illégitime, trouva le langage de son rang trop insuffisant pour exprimer la force de ses sentiments généreux, et empruntant : au vulgaire deux mots éner-