Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/106

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de seconder sa grand’mère dans l’exploitation de sa ferme. Un jour qu’il étudiait le Pons asinorum d’Euclide[1], il laissa ses bestiaux passer à travers un grand champ de pois appartenant au laird de Dumbiedikes, et il fallut la promptitude et les efforts de Jeanie Deans, secondée de son petit chien Dustyfoot, pour empêcher un grand dégât et le soustraire à une punition sévère. De pareilles bévues marquaient chaque jour tous ses progrès dans les études classiques. Il lisait les Géorgiques de Virgile, et ne savait pas distinguer l’orge de l’avoine ; il avait presque perdu la récolte d’une année, en voulant cultiver les terres de Beersheba d’après les règles de Columelle et de Caton le Censeur.

Ces sottises chagrinaient son aïeule, et détruisaient la bonne opinion que son voisin Davie Deans avait pendant quelque temps conçue de Reuben.

« Je ne vois pas, voisine Butler, » disait-il à la vieille femme, « ce que vous pourrez faire de ce pauvre garçon ; à moins que vous n’en fassiez un ministre. On n’a jamais eu plus grand besoin de bons prédicateurs qu’à présent, en ces jours de tiédeur où les cœurs des hommes sont durs comme des meules de moulin, au point de ne plus s’inquiéter de l’irréligion. Il est évident que votre pauvre cher fils ne sera jamais bon à rien, à moins que notre maître ne lui donne de l’emploi. Je ferai mon possible pour lui faire obtenir sa licence[2] quand il la méritera ; car j’espère qu’il sera comme un dard bien acéré, et qu’il travaillera au bien de l’Église, qu’il ne changera pas ses principes pour s’enfoncer, comme une truie, dans la fange des extrêmes hérésies et des défections, mais qu’il aura les ailes blanches d’une colombe, quoiqu’il soit né dans la poussière. »

La pauvre veuve dévora l’affront que lui attiraient les principes de son mari, suivit les conseils de Deans, et, se hâtant de retirer Butler de la haute école, elle lui fit étudier les mathématiques et la théologie, les seules sciences naturelles et morales qui fussent alors à la mode.

Jeanie Deans se vit donc obligée de quitter le compagnon de ses travaux, de ses études et de ses jeux, et ce fut avec des regrets plus qu’enfantins que les deux enfants se séparèrent. Mais ils étaient jeunes, ils avaient de grandes espérances ; ils se dirent adieu comme des amis qui comptent bien se revoir dans un temps plus propice.

  1. Le carré de l’hypoténuse, en géométrie. a. m.
  2. Le droit de prêcher. a. m.