Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/112

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portent préjudice à la grâce. Il a beaucoup d’esprit et de science humaine : il s’occupe autant de la forme sous laquelle il doit présenter la nourriture spirituelle, que de la bonne qualité et de la solidité de sa doctrine ; il brode de soie la robe nuptiale, faute de quoi elle ne serait point assez belle pour lui : il tire vanité de son instruction humaine qui lui permet de parer ainsi sa doctrine. Mais, » ajouta-t-il en voyant la vieille femme s’affliger de ces paroles, « l’affliction peut corriger ce défaut : qu’il se délivre du vent qui le gonfle comme une vache qui a mangé de la luzerne mouillée, et Reuben pourra bien faire, il pourra devenir une lumière brillante et brûlante. Oui, j’espère qu’il aura ce bonheur ; vos yeux le verront, et cela prochainement. »

La veuve Butler se retira sans avoir pu obtenir d’autre réponse de son voisin, dont les paroles, quoiqu’elle ne les comprît pas, lui donnèrent des craintes extraordinaires au sujet de son petit-fils, et diminuèrent de beaucoup la joie que lui avait causée son retour. Or, pour rendre justice au discernement de M. Deans, il faut avouer que, dans leur conférence, Butler avait déployé beaucoup plus d’érudition qu’il n’était nécessaire, et beaucoup trop pour plaire au vieux presbytérien, qui, accoutumé à se croire à lui-même le droit incontestable d’imposer son opinion dans les controverses théologiques, se sentit humilié et mortifié de se voir opposer les autorités de la science. Butler, disons-le aussi, n’avait point échappé au vernis de pédantisme que devait naturellement lui donner son éducation, et il n’était que trop souvent disposé à faire parade de ses connaissances sans qu’il y eût la moindre nécessité.

Toutefois Jeanie Deans, loin de blâmer cet étalage d’érudition, en fut éblouie, peut-être par la même raison qui fait que les femmes admirent dans les hommes le courage et la force que la nature leur a refusés. La liaison qui existait entre leurs familles permettait à ces deux jeunes gens de se voir tous les jours. Leur ancienne intimité se renoua en prenant un caractère plus conforme à leur âge ; et il fut enfin convenu entre eux que leur union se ferait dès que Butler aurait trouvé des moyens d’existence assurés, quelque modestes qu’ils fussent. Ce but, toutefois, ne fut pas facile à atteindre. Butler forma plusieurs plans, et aucun ne réussit. Les joues de Jeanie perdaient la fraîcheur de la première jeunesse, le front de Butler prenait la gravité de l’âge mûr, et les moyens d’établissements semblaient aussi éloignés que