Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/456

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points, laisser ces bonnes gens agir à leur fantaisie, sans les exciter ou les encourager par ma présence. »

Jeanie n’avait rien à répliquer à un tel raisonnement, où il lui semblait cependant qu’il entrait moins de vérité que d’envie de se donner un air d’importance.

En attendant, le carrosse continuait de rouler, la rivière s’élargissait de plus en plus, et prenait graduellement l’aspect majestueux d’un bras de mer. L’influence de la marée montante et descendante se fit de plus en plus sentir, et, pour me servir des expressions du poète lauréat,

Le lit du fleuve s’agrandit ;
Le cormoran, sur le rivage,
L’aile ouverte au vent, s’enhardit,
Prêt à reprendre son voyage.

« De quel côté est Inverary ? » demanda Jeanie en fixant les yeux sur les masses sombres des montagnes d’Écosse qui, entrecoupées de plus d’un lac, s’étendaient vers le nord, de l’autre côté de la rivière, et dont les sommets, comme entassés les uns sur les autres, ressemblaient aux vagues du vaste Océan. « Ce grand château qui est tout là-haut appartient-il au duc ? — « Ce château ?… miss Deans, que le ciel vous protège ! c’est le vieux château de Dumbarton, la plus forte place qu’il y ait en Europe, quelles que soient les autres. Sir William Wallace en fut gouverneur pendant les vieilles guerres avec les Anglais, et c’est Sa Grâce qui y commande aujourd’hui. Ce poste est toujours confié au plus habile homme de l’Écosse. — Et le duc réside-t-il sur ce rocher si élevé ? demanda Jeanie. — Non, non, il y a un sous-gouverneur qui commande en son absence, et qui habite cette maison blanche que vous voyez au pied du roc : Sa Grâce n’habite jamais cet endroit. — Je le crois bien, » dit la demoiselle de la laiterie, sur l’esprit de laquelle la route avait fait une impression très-peu favorable depuis qu’ils avaient quitté Dumfries ; « et s’il l’habitait, il pourrait bien siffler pour qu’il se présentât une autre intendante de la laiterie que moi, fût-il le seul duc qui existât en Angleterre ! Je n’ai pas quitté mon pays natal et mes amis pour venir voir des vaches mourir de faim sur des montagnes, comme dans cette écurie de porcs à Elfinfoot, ainsi que vous appelez ce lieu, ou pour être perchée sur le haut d’un rocher comme un écureuil dans sa cage pendue à la croisée d’un troisième étage. »