Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/518

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lère, s’il découvrait qu’il est l’agent, non d’Euphémie Staunton de l’honorable maison de Winthon, mais d’E. D., fille d’un nourrisseur de bestiaux caméronien ! Jeanie, je ris encore de temps en temps, mais que Dieu vous préserve d’une semblable gaieté ! Mon père, je veux dire votre père, la comparerait au vain pétillement de fagots d’épine, jetés dans le feu ; mais celles qui me déchirent conservent leurs pointes et ne se consument pas !… Adieu, très-chère Jeanie ; ne montrez cette lettre à personne, pas même à M. Butler. J’ai pour lui tout le respect possible ; mais ses principes sont un peu rigoureux, et la situation où je suis ne doit pas être examinée avec trop de sévérité… Croyez-moi votre très-affectionnée sœur,

« E.»

Cette longue lettre offrit à mistress Butler des sujets d’étonnement et d’affliction. Il lui semblait si extraordinaire qu’Effie, sa sœur Eflie, se rencontrât dans le monde, et, à ce qu’il paraissait, presque sur un pied d’égalité avec le duc d’Argyle, qu’elle doutait par moment qu’elle eût bien lu. Il ne lui semblait pas moins merveilleux que dans l’espace de quatre ans elle eût fait tant de progrès. Jeanie était assez humble pour convenir sans peine qu’Effie avait toujours saisi avec plus de promptitude qu’elle tout ce qu’on leur enseignait, quand elle avait voulu s’en donner la peine ; mais elle était paresseuse et inappliquée, et au total beaucoup plus ignorante. Il fallait que l’amour, la crainte ou la nécessité eussent été pour elle des maîtres bien habiles, puisque en si peu de temps elle avait pu suppléer à tout ce qui manquait à son éducation.

Ce qui déplut le plus à Jeanie dans la lettre de sa sœur, c’est qu’elle crut y découvrir un sentiment secret d’égoïsme. « Nous n’aurions pas entendu parler d’elle, se dit Jeanie, s’il elle n’avait pas craint que le duc ne vînt à apprendre qui elle était, et tout ce qui concernait ses pauvres parents. Mais la pauvre Effie pense d’abord à elle, et les gens qui lui ressemblent ne s’occupent guère des autres. Je n’ai nulle envie de garder cet argent, » dit-elle en ramassant un billet de cinquante livres sterling qui était tombé de la lettre ; « nous en avons assez, et il semble qu’elle m’envoie cela pour payer mon silence : elle devait cependant être bien sûre que pour tout l’or du monde je ne dirais rien qui pût lui faire tort. Il faut que j’en parle au ministre ; je ne vois pas ce qu’elle peut avoir à craindre pour son mauvais sujet de