Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/566

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raient vers le lieu ordinaire de débarquement. Les deux beaux-frères, suivis du domestique, s’enfoncèrent, par un sentier sombre et raboteux, dans un bois épais de noisetiers qui devait les conduire près du presbytère, où ils étaient impatiemment attendus.

Les deux sœurs avaient vainement attendu leurs maris pendant toute la journée de la veille, qui était le jour fixé pour leur retour d’après la lettre de sir George. Le temps que les voyageurs s’étaient arrêtés à Calder pour se reposer, avait occasionné ce retard, et les habitants du presbytère commençaient même à douter qu’ils arrivassent ce jour-là. Cet espoir de délai était pour lady Staunton une espèce de sursis, car elle redoutait le coup qu’allait porter à l’orgueil de son mari la vue d’une belle-sœur à laquelle sa fatale et honteuse histoire n’était que trop connue. Elle savait que, quelle que fût la contrainte qu’il imposerait en public à ses sensations, elle était destinée à être le témoin secret de la violence avec laquelle il s’y abandonnait seulement devant elle, et à le voir se consumer par les remords qui détruisaient sa santé aussi bien que son repos et l’égalité de son caractère, et le rendaient à la fois un objet de terreur et de compassion. Elle ne cessa donc de recommander à Jeanie de ne témoigner par aucun signe qu’elle le reconnaissait, mais de le recevoir comme quelqu’un qui lui était absolument étranger ; et Jeanie s’empressa de lui promettre qu’elle se conformerait à ses désirs.

Jeanie elle-même ne pouvait se défendre d’un mouvement d’agitation en songeant à tout ce que cette entrevue aurait d’embarrassant ; mais sa conscience était sans reproche ; d’ailleurs elle était occupée d’une foule de soins domestiques d’un genre peu ordinaire, ce qui, outre l’impatience qu’elle avait de recevoir Butler après une absence de si longue durée, lui faisait désirer vivement que les voyageurs arrivassent le plus tôt possible. Et d’ailleurs, pourquoi déguiserais-je la vérité ? de temps en temps, il lui venait à l’esprit que son dîner de cérémonie avait déjà été retardé de deux jours, et qu’il y avait bien peu de plats, sur lesquels elle avait exercé tout son savoir-faire en cuisine, qui pussent décemment reparaître le troisième jour : alors, que ferait-elle du reste ? Mais elle fut tirée de peine sur ce dernier point, par l’arrivée imprévue du capitaine à la tête d’une demi-douzaine d’hommes vigoureux, habillés et armés à la mode des montagnards.

« Je vous souhaite le bonjour, lady Staunton ; j’espère que j’ai