Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/150

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CHAPITRE XV.

la légende saxonne.


Je vois une main que vous ne pouvez voir, qui me fait signe de partir ; j’entends une voix que vous ne pouvez entendre, qui me crie que je ne puis rester.
Mallet.


Lorsque Éveline ouvrit les yeux le lendemain, ce fut sans aucun souvenir de ce qui s’était passé la nuit. Elle promena ses regards autour de la chambre, où il n’y avait que quelques meubles grossiers, comme dans celles qui sont destinées aux domestiques, et dit à Rose en souriant : « Notre bonne parente exerce à bon marché l’ancienne hospitalité saxonne, au moins en fait de logements. J’aurais volontiers donné le souper somptueux d’hier pour obtenir un lit un peu plus mollet que celui-ci. Je sens mes membres aussi fatigués que si j’avais été sous les fléaux de la grange d’un franklin[1].

— Je suis bien aise de vous voir de si belle humeur, madame, » répondit Rose, évitant de lui rappeler les événements de la nuit. »

Gillian ne fut pas si scrupuleuse. « Votre Seigneurie, dit-elle, ou je me trompe fort, a couché cette nuit sur un meilleur lit que celui-ci, et il n’y a que vous et Rose Flammock qui sachiez pourquoi vous l’avez quitté. »

Si un regard pouvait tuer, celui que Rose lança à Gillian pour lui reprocher ce propos imprudent l’aurait mise en péril mortel. Son indiscrétion eut effectivement l’effet que la jeune Flamande avait redouté. Éveline parut d’abord surprise et confuse, puis petit à petit les souvenirs du passé se reproduisant à sa mémoire, elle croisa les mains, fixa les yeux à terre, parut fort agitée, et se mit à pleurer amèrement.

Rose la supplia de se calmer, et offrit d’aller chercher le vieux chapelain saxon de la famille pour lui administrer des consolations spirituelles, si sa douleur n’en voulait pas accepter d’autres.

« Non, ne l’appelez pas, » dit Éveline en relevant la tête et s’essuyant les yeux ; » j’ai déjà bien assez d’obligations aux Saxons ! Folle que j’étais d’espérer que cette femme insensible et

  1. Nom qu’on donnait alors aux propriétaires qui faisaient valoir leurs terres.