Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/160

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truction, tandis que d’une voix qui n’avait rien d’humain elle prononçait ces paroles :

Fiancée et veuve à la fois,
Avec un époux, fille encore,
Tu trahiras : et puis tu dois
Être délaissée à la voix
De celui même qui t’adore.

Alors le fantôme se pencha sur moi, et dirigea son doigt sanglant vers ma figure comme pour me toucher : la terreur me rendit la faculté dont elle m’avait d’abord privée ; je poussai un cri… la croisée de l’appartement s’ouvrit avec fracas, et… Mais à quoi bon vous raconter tout cela, Rose ? je vois clairement, à l’expression de vos yeux et au mouvement de vos lèvres, que vous me regardez comme un sot enfant effrayé d’un rêve ?

— Ne vous fâchez pas, ma chère maîtresse ! je crois à la vérité que la sorcière que nous appelons Mara[1] vous a visitée, et vous savez que les médecins ne la regardent pas comme un fantôme, mais comme créée par notre imagination, que quelques causes physiques ont troublée.

— Tu es bien savante, jeune fille, » dit Éveline avec un peu d’humeur ; « mais quand je t’assurerai que mon bon ange est venu à mon secours sous une forme humaine, qu’à son aspect le démon s’est évanoui… qu’il m’a transportée dans ses bras hors de cette chambre, pleine de terreurs, je pense qu’en bonne chrétienne tu ajouteras foi à mes paroles.

— En vérité, ma très-chère maîtresse, je ne le puis, répondit Rose ; et c’est même cet ange gardien qui me fait considérer tout cela comme un rêve. Une sentinelle normande, que j’ai appelée, est en effet venue à votre secours, et pénétrant de force dans votre appartement, vous a transportée dans celui où je vous ai reçue, inanimée et sans connaissance.

— Un soldat normand ! » s’écria Éveline en rougissant extrêmement ; « et à qui, jeune fille, avez-vous ordonné de pénétrer dans ma chambre à coucher ?

— Vos yeux étincellent de colère, madame ; mais cette colère est-elle raisonnable ? N’ai-je pas entendu vos cris d’angoisse, et était-ce dans un tel moment que je devais me laisser arrêter par le décorum ? Pas plus que si le château eût été en feu !

— Je vous demande encore une fois, Rose, » dit sa maîtresse

  1. Éphialtes, ou le cauchemar. a. m.