Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/205

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L’abbesse elle-même ne put s’empêcher d’applaudir à ce sentiment, avouant que c’était parler en vrai gentilhomme normand ; mais en même temps, ses yeux tournés vers sa nièce semblaient l’exhorter vivement à profiter de la candeur de de Lacy.

Mais Éveline, les yeux baissés et les joues un peu colorées, détailla ses sentiments, sans écouter les suggestions de sa tante. « J’avouerai, dit-elle, que quand votre valeur m’eut sauvée de la mort qui m’attendait, j’aurais désiré qu’en vous honorant et respectant comme mon excellent père, vous eussiez pu recevoir mes services comme ceux d’une fille. Je ne prétends pas avoir surmonté entièrement cette idée, quoique je l’aie combattue comme indigne de moi et ingrate envers vous ; mais depuis le moment où il vous plut de m’honorer en réclamant ma main, j’ai examiné avec soin mes sentiments pour vous, et je me suis appliquée à les faire accorder avec mon devoir, au point d’espérer que de Lacy ne trouverait pas dans Éveline Berenger une épouse indifférente et indigne de lui. Vous pouvez, milord, croire à cette promesse, soit que l’union ait lieu tout de suite, ou qu’elle soit différée. De plus, j’avoue que ce retard me sera agréable, étant bien jeune encore et sans expérience deux ou trois ans me rendront, je crois, plus digne des égards d’un homme d’honneur. »

À cet aveu favorable, quoique froid et circonstancié, de Lacy eut autant de difficulté à contenir ses transports qu’il en avait eu auparavant à modérer son agitation.

« Ange de bonté et de douceur, » dit-il en s’agenouillant encore une fois, et en se ressaisissant de sa main, « peut-être je devrais en tout honneur abandonner volontairement ces espérances que vous refusez de me ravir. Mais qui serait capable de tant de magnanimité ? Laissez-moi espérer que mon attachement dévoué, ce que vous entendrez dire de moi quand je serai éloigné, ce que je vous apprendrai quand je serai près de vous, donneront à vos sentiments une chaleur plus tendre que celle que vous exprimez maintenant ; en attendant, ne me blâmez pas si j’accepte de nouveau votre foi aux conditions que vous y attachez. Je sens que mon amour s’est fait sentir trop tard pour espérer en retour une affection que la jeunesse peut seule obtenir. Ne me blâmez pas si je suis satisfait de ces sentiments calmes qui rendent la vie heureuse, quoiqu’ils ne donnent pas d’élan à la passion. Votre main reste immobile dans celle qui la presse : refuse-t-elle de confirmer ce que votre bouche a prononcé ?