Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ménestrel avec son ton équivoque et emphatique et son regard ordinaire.

Mais au moment où le connétable était prêt à partir, deux personnes parurent dans le sentier ; elles étaient montées sur un cheval, et, cachées par des bois nains, s’étaient approchées très-près d’eux sans être aperçues. C’était un homme et une femme ; l’homme, qui était en avant, offrait le portrait de la famine, tel que nos pèlerins avaient pu le voir dans tous les pays dévastés qu’ils avaient traversés. Ses traits, naturellement aigus et maigres, avaient disparu parmi les cheveux et la barbe grise qui les couvraient ; et ce n’était que la saillie d’un long nez qui semblait aussi affilé que le tranchant d’un couteau, et l’éclat de ses yeux gris qui donnaient quelque idée de sa physionomie. Sa jambe, dans l’énorme botte qui la recouvrait, ressemblait à un manche à balai qu’on aurait laissé par hasard dans un seau ; ses bras avaient à peu près la grosseur d’une cravache, et les parties de son corps qui n’étaient pas cachées par les lambeaux d’une casaque de chasseur semblaient plutôt appartenir à une momie qu’à un homme vivant.

La femme qui était assise derrière ce spectre, offrait aussi quelques symptômes d’épuisement ; mais comme elle était naturellement rebondie, la famine n’avait pas pu en faire un spectacle aussi piteux que du squelette derrière lequel elle se trouvait. La dame Gillian (car c’est cette vieille connaissance de notre lecteur) avait effectivement perdu la couleur rose que la bonne chère, l’art et une vie douce avaient substitué à la fraîcheur délicate de la jeunesse ; ses yeux étaient enfoncés, et avaient perdu beaucoup de leur regard hardi et agaçant ; mais elle était toujours en quelque sorte elle-même, et les restes d’une ancienne parure, joints à un bas bien tiré en écarlate fanée, montraient encore un reste de prétention à la coquetterie.

Dès qu’elle fut en vue des pèlerins, elle commença à pousser Raoul du bout de sa cravache. « Essaye ton nouveau métier, puisque tu n’es pas capable d’en faire un autre ; avance vers ces saints hommes, avance donc, et demande-leur la charité.

— Demander l’aumône à des mendiants ! murmura Raoul ; ce serait lancer un faucon sur des moineaux, femme.

— Cela nous y formera la main, » dit dame Gillian, et elle commença d’un ton larmoyant : » Que Dieu vous bénisse, saints hommes, qui avez eu la grâce d’aller en terre sainte, et qui plus