Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/331

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pleureuses de la montagne[1], qui feront les plus belles lamentations en l’honneur du dernier Vich-Jan-Vohr. »

« C’est, dit le baron, le testamentum militare, qui, chez les Romains, pouvait être verbal. » Mais le tendre cœur de mistriss Flokhart se fondit en larmes aux paroles du colonel ; elle poussa un lamentable soupir et refusa net de recevoir le dépôt, que Fergus fut obligé de reprendre.

« Eh bien ! dit le chef, si je succombe, ce sera pour le grenadier qui me cassera la tête, mais j’aurai soin de lui tailler bonne besogne. »

Le bailli Mac Wheeble fut encore tenté de remettre sa rame à l’eau ; car, dès qu’il s’agissait d’espèces, il lui était difficile de se taire. « Peut-être, suivant lui, mieux vaudrait envoyer la somme à miss Mac-Ivor, en cas de décès ou d’accident de guerre. On rédigerait une donation mortis causa, en faveur de la jeune lady, et pour ce, il n’en coûterait qu’un trognon de plume. »

« La jeune lady, répliqua Fergus, si pareil événement arrivait, aurait bien autre chose à penser qu’à ces misérables louis d’or. » — « C’est vrai… incontestable… sans l’ombre d’un doute ; mais Votre Honneur sait qu’un profond chagrin… » — « Est beaucoup plus facile à supporter, d’ordinaire, qu’une faim bien vive ?… C’est vrai, bailli, fort vrai ; et je crois même qu’il y a des gens qu’une telle réflexion consolerait de l’anéantissement de toute l’espèce humaine. Mais il est un chagrin qui ne connaît ni faim, ni soif ; et la pauvre Flora… » Il s’interrompit, et tous les convives partagèrent son émotion.

Les pensées de Bradwardine se reportèrent naturellement sur sa fille, qui restait sans défense, et de grosses larmes brillèrent dans les yeux du vétéran. « Si je succombe, Mac Wheeble, vous avez tous mes papiers, vous connaissez toutes mes affaires ; soyez juste envers Rose. »

Le bailli, après tout, était de limon terrestre ; il avait sans doute bien des vices, bien des mauvais penchants, mais aussi quelques sentiments de bonté et de justice, surtout quand il s’agissait du baron ou de la jeune miss. Il poussa un gémissement lugubre. « Si ce triste jour arrivait, s’écria-t-il, Duncan Mac Wheeble n’eût-il qu’une obole, elle serait pour miss Rose. Je me mettrai copiste à un plack la page avant de lui faire connaître le

  1. Highland Cailliachs, dit le texte ; vieilles femmes qui faisaient le métier de pleurer les morts. Les Irlandais les appellent Keenning. a. m.