Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dait à chaque instant l’arrivée du colonel Mannering, ou du moins une lettre avec pouvoir de traiter pour lui. Mais rien n’arriva. M. Mac-Morlan sortit le matin de bonne heure, se rendit au bureau de poste ; il n’y avait point de lettres pour lui. Il s’efforça de se persuader qu’il verrait le colonel Mannering à déjeuner, et il dit à sa femme de préparer sa plus belle porcelaine et de s’habiller en conséquence. Tous ces préparatifs furent en pure perte. « Si j’avais pu prévoir cela, dit-il, j’aurais parcouru toute l’Écosse pour trouver un acquéreur à opposer à Glossin. » Hélas ! ces réflexions venaient trop tard. L’heure fixée arriva ; les acquéreurs se réunirent à la loge de Massons à Kippletringan, lieu désigné pour la vente ajournée. Mac-Morlan employa autant de temps que la bienséance le permit, et lut tous les articles de la vente aussi lentement que si c’eût été son arrêt de mort. Il tournait ses yeux vers la porte toutes les fois qu’elle s’ouvrait, mais avec un espoir qui devenait de plus en plus faible. Il prêtait l’oreille au moindre bruit qu’on entendait dans la rue du village et tâchait de distinguer le bruit des roues et des chevaux ; vaine espérance ! Une idée lumineuse alors s’offrit à son esprit ; il crut que le colonel Mannering pouvait avoir chargé une autre personne d’enchérir à sa place, et il n’eut pas un moment la pensée de lui reprocher le manque de confiance qu’une telle conduite aurait prouvé ; mais il fut bientôt détrompé. Après un moment de silence solennel, M. Glossin offrit le prix le plus élevé pour les terres et la baronnie d’Ellangowan. Aucun acquéreur ne se présenta et aucune enchère ne fut faite : aussi après l’intervalle ordinaire du temps que met le sable d’une horloge à couler, l’acquéreur donnant les sûretés convenables, Mac-Morlan fut obligé, en termes techniques, d’annoncer et de déclarer que la vente était légitimement accomplie, et que ledit Gilbert Glossin était acquéreur desdites terres et du domaine. L’honnête substitut refusa de partager un repas splendide que Gilbert Glossin, esquire, maintenant Glossin d’Ellangowan, offrait au reste de la compagnie, et il retourna chez lui, exhalant sa mauvaise humeur contre la légèreté et le caprice de ces nababs indiens[1] qui ne pensent jamais la même chose dix jours de suite. Ce fut la fortune qui prit généreusement sur elle tout le blâme, et fit taire le ressentiment de Mac-Morlan.

Un exprès arriva à six heures du soir, « ivre à ne pouvoir se

  1. C’est le nom des princes indiens. On appelle aussi nababs les Anglais qui ont amassé de grandes richesses dans l’Inde. a. m.