Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/125

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un peu tard dans mon cabinet, qui est situé précisément sous la chambre de miss Mannering ; à ma grande surprise, non seulement j’entendis distinctement le flageolet, mais je m’assurai que les sons partaient du lac qui baigne les murs de mon château. Curieux de connaître quel était celui qui nous donnait une sérénade à cette heure indue, je m’approchai doucement de la fenêtre, mais il y avait d’autres personnes que moi qui veillaient. Vous pouvez vous rappeler que miss Mannering préféra l’appartement qu’elle occupe, à cause du balcon qui donne sur le lac. Eh bien, j’entendis lever le châssis d’une fenêtre, ouvrir les volets, et sa voix que je reconnus me convainquit qu’elle était en conversation avec quelqu’un qui lui répondait d’en bas : ce n’est point là beaucoup de bruit pour rien[1]. Je ne pouvais me tromper, c’était sa voix si douce et si insinuante ; et, pour dire la vérité, les accents qui s’élevaient d’en bas étaient tout aussi tendres. Mais que disait-on ? c’est ce que je ne pus distinguer. J’ouvris ma fenêtre afin de saisir plus que le simple murmure de ce rendez-vous à l’espagnole, mais, malgré toutes mes précautions, le bruit alarma les causeurs ; la fenêtre de la jeune dame retomba, les volets furent refermés à l’instant, et le bruit de deux rames qui frappaient l’eau annonça la retraite de l’autre interlocuteur : j’entrevis même sa barque qui manœuvrait avec autant d’adresse que d’agilité et qui sillonnait le lac comme si elle eût contenu douze rameurs.

« Le lendemain matin j’interrogeai, comme par hasard, quelques-uns de mes domestiques, et j’appris que le garde-chasse, en faisant sa ronde, avait vu deux fois sur le lac, près de la maison, cette barque conduite par une seule personne, et avait entendu le flageolet. Je m’abstins de pousser plus loin mes questions, de peur de compromettre Julia dans l’opinion des gens auxquels je les avais adressées ; mais, à déjeuner, je touchai quelques mots de la sérénade du soir précédent, et je vis que miss Mannering rougit et pâlir alternativement. Je m’empressai de donner à la conversation une tournure qui pût foire croire à Julia que mon observation était purement accidentelle ; mais dès ce moment j’ai pris la résolution de placer de la lumière toute la nuit dans ma bibliothèque, et d’en laisser les volets ouverts, pour empêcher les visites de notre rôdeur nocturne. J’ai allégué la rigueur de l’hiver qui approche, et l’humidité des brouillards, comme un obstacle aux promenades du soir et du matin. Miss Mannering consentit à tout avec un calme qui

  1. Titre d’une pièce de Shakspeare. a. m.