Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/126

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n’est pas dans son caractère, et qui, pour vous dire ce que j’en pense, est un pronostic qui me déplaît un peu. Julia a trop du caractère de son cher papa pour se laisser contrarier dans ses volontés, s’il n’y avait quelque petite explication qu’elle juge prudent d’éviter.

« J’ai fini mon récit, et maintenant c’est à vous de juger ce que vous devez faire ; je n’ai rien dit à ma bonne femme, qui, portée à excuser les faiblesses de son sexe, m’aurait certainement conseillé de ne point vous faire connaître ces particularités, et aurait pu, au lieu de cela, se mettre dans la tête d’exercer son éloquence sur miss Mannering ; mais quelque puissante qu’elle soit lorsqu’elle est dirigée contre moi, ce qui est très légitime, elle pourrait, du moins je le crains, faire plus de mal que de bien dans la circonstance présente. Quant à vous, peut-être sera-t-il plus prudent d’agir sans faire aucune remontrance, ou même sans paraître avoir eu connaissance de ce qui s’est passé. Julia ressemble beaucoup à un de mes amis ; elle a une imagination vive et ardente et des sentiments romanesques, propres à peindre de couleurs trop sombres ou trop riantes les événements de la vie. Au total, c’est une fille charmante, aussi bonne et aussi spirituelle qu’elle est aimable. Je lui ai rendu de tout mon cœur le baiser que vous m’avez envoyé pour elle ; et en retour elle pressa amicalement ma main dans la sienne. Je vous engage à venir le plus vite que vous pourrez. En attendant, comptez sur les soins de votre fidèle

« Arthur Mervyn. »

P. S. « Vous désirerez naturellement savoir si j’ai quelque soupçon sur l’homme à la sérénade ; en vérité je n’en ai aucun. Il n’y a point dans nos environs de jeune gentleman que son rang ou sa fortune mettrait à même d’aspirer à la main de Julia, qui soit capable de remplir un tel rôle. Mais de l’autre côté du lac, presque en face de Mervyn-Hall, est une diable d’auberge qui sert de rendez-vous à des aventuriers de toute espèce : poètes, peintres, acteurs et musiciens s’y rendent pour rêver, déclamer et extravaguer dans les sites pittoresques et romantiques de nos environs. C’est payer un peu cher ces beautés de la nature qui attirent un tel essaim de jeunes vagabonds. Si Julia était ma fille, ce serait de ce côté que je craindrais pour elle : elle est généreuse et romanesque ; elle écrit six pages par semaine à une jeune fille avec laquelle elle est en correspondance, et il est quelquefois dangereux d’avoir, en pareil cas, à chercher un sujet pour exercer ses sentiments ou sa plume. Adieu