Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/136

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l’enceinte de son jardin, où le bon gentleman peut marcher à petits pas à mes côtés sans trop se fatiguer. Je l’ai surpris deux ou trois fois tâchant de souder mes pensées et de lire sur ma physionomie. Il a parlé plus d’une fois de flageolet, et plus d’une fois aussi il a fait l’éloge de la vigilance et de la méchanceté de ses chiens, du soin avec lequel le garde fait sa ronde avec un fusil chargé. Il a même parlé de pièges et de fusils à ressort. Je ne manquerais pas volontiers à un vieil ami de mon père, mais j’ai quelquefois l’envie de lui montrer que je suis la fille du colonel Mannering, ce dont M. Mervyn sera convaincu si je m’abandonne à mon caractère pour répondre à ses attaques indirectes. Une chose dont je suis sûre, et dont je lui suis reconnaissante, c’est qu’il n’a rien dit à mistress Mervyn. Dieu me protège ! j’aurais reçu de fameuses leçons sur les dangers de l’amour et sur celui de respirer la nuit l’air du lac ; sur le risque de gagner un rhume et d’être le jouet d’un homme qui court après ma fortune ; sur l’utilité du petit-lait et sur celle des fenêtres fermées ! Je plaisante, Mathilde, et cependant mon cœur est bien triste. Je ne sais ce que fait Brown : la crainte d’être découvert a mis un terme à ses visites nocturnes. Il loge dans une auberge sur le rivage, de l’autre côté du lac, sous le nom de Dawson, m’a-t-il dit : il n’est pas heureux dans le choix de ses noms. Je pense qu’il n’a pas quitté le service, mais il ne m’a rien dit de ses projets pour l’avenir.

« Pour mettre le comble à mon embarras, mon père est arrivé subitement et de très mauvaise humeur, Notre bonne hôtesse (je l’ai appris par une conversation animée entre elle et sa femme de charge) ne l’attendait pas avant une semaine ; mais j’ai lieu de croire que son arrivée n’était pas une surprise pour son ami M. Mervyn. Il fut très froid et très réservé avec moi, ce qui m’a ôté la force de lui ouvrir mon cœur. Il m’a dit, pour excuser sa colère et sa mauvaise humeur, qu’il a manqué l’acquisition d’un domaine dans le sud-ouest de l’Écosse, et qu’il le regrette beaucoup. Mais je ne crois pas que son égalité d’âme puisse être si facilement dérangée. Pour sa première excursion, il traversa le lac dans une barque avec M. Mervyn pour se rendre à l’auberge dont je vous ai parlé. Imaginez avec quelle inquiétude j’attendis son retour. S’il avait reconnu Brown, peut-on prévoir ce qui en serait résulté ! Cependant il revint sans, je crois, avoir rien découvert. J’apprends à l’instant que, comme il n’a point acheté le domaine qu’il désirait, il songe maintenant à louer une maison dans le voisinage de ce même