Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/156

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CHAPITRE XXII.

LE VOYAGE ET L’AUBERGE.


En avant ! en avant ! Arpentons le chemin, et sautons gaîment par dessus les barrières. Quand on a le cœur gai, on marche tout le jour ; avec le cœur triste, on est fatigué après avoir fait un mille.
Shakspeare. Conte d’hiver.


Que le lecteur se fasse l’idée d’une belle matinée de novembre par un temps de gelée ; qu’il se figure une immense plaine de bruyère, terminée par cette chaîne de montagnes escarpées par dessus lesquelles celles de Skiddaw et de Saddleback montrent leurs pics élevés ; qu’il regarde cette route aveugle[1], ainsi appelée parce que le chemin est marqué si faiblement par les pas des voyageurs, qu’il n’offre qu’une trace de verdure plus légèrement ombrée que la noire bruyère qui la borde des deux côtés, et qui, visible à quelque distance, disparaît lorsqu’on met le pied dessus. C’est le long de ce sentier mal tracé que s’avance le héros de notre histoire. Son pas ferme, son port libre et droit, ont un air militaire en parfaite harmonie avec ses membres bien proportionnés et sa taille de six pieds. Ses vêtements sont simples et unis, ils ne font point connaître son rang, ils peuvent être ceux d’un gentleman qui voyage ainsi pour son plaisir, ou ceux d’un simple particulier dont ils sont la parure habituelle. Rien de plus léger que son bagage. Un volume de Shakspeare dans la poche, un paquet contenant un peu de linge, suspendu derrière ses épaules, un gourdin de chêne à la main, tel est l’équipage de notre piéton, et dans lequel nous le présentons à nos lecteurs.

Brown s’était séparé dans la matinée de son ami Dudley, et il commençait sa promenade solitaire vers l’Écosse.

Les deux ou trois premiers milles, son esprit fut porté à la mélancolie, par suite de la privation de sa compagnie accoutumée. Mais cette disposition peu naturelle chez lui céda bientôt à l’influence de sa bonne humeur ordinaire, qu’excitaient encore l’exercice et le froid piquant d’un air glacé. Il siffla en continuant sa route, non qu’il n’eût matière à réflexions, mais parce que, faute d’être entendu, il ne pouvait exprimer autrement les sentiments qui l’occupaient. Chaque passant que le hasard lui faisait rencon-

  1. Blind road, chemin difficile à tenir. a. m.