Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/207

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coquin en qui il avait confiance. Un des plus jeunes et des plus jolis gentilshommes du pays s’est attaché à elle ; mais comme il est l’unique héritier d’une riche famille, elle refuse son amour à cause de la disproportion de leur fortune.

« Néanmoins, malgré cette modération, cette délicatesse, cette modestie, et tout ce que vous voudrez, Lucy est une petite rusée : je suis sûre qu’elle aime le jeune Hazlewood, qu’il le sait, et qu’il s’expliquerait ouvertement si mon père et Lucy voulaient lui en donner l’occasion. Mais il faut que vous sachiez aussi que le colonel a toujours lui-même, pour miss Bertram, ces attentions qui fournissent à un amant les meilleures occasions de se déclarer. Je voudrais que mon cher papa fît attention à ne pas se laisser prendre au piège, comme il arrive à tant de gens qui se mêlent des affaires des autres. Je vous assure que, si j’étais Hazlewood, je ne verrais pas sans quelque petit soupçon ses compliments et ses saluts, le soin qu’il a d’arranger son manteau et son châle, et son empressement à lui offrir la main. Hazlewood me paraît quelquefois en concevoir de la jalousie. Imaginez la sotte figure que fait votre pauvre Julia dans de semblables occasions ! D’un côté mon père qui fait l’agréable avec mon amie, de l’autre le jeune Hazlewood attentif à chaque parole qui sort des lèvres de Lucy, à chaque mouvement de ses yeux, tandis que je n’ai pas, moi, la satisfaction d’intéresser un être humain ; non, pas même ce monstre exotique de ministre, qui, assis la bouche béante, ne cesse de fixer sur miss Bertram ses yeux ronds et de travers, assez semblable à une statue.

Cela me donne parfois des crispations de nerfs, et parfois aussi ajoute à ma malice. J’étais tellement vexée, l’autre jour, de voir que mon père et les amants me mettaient en dehors de leurs pensées et de leur société, que je dirigeai contre Hazlewood une attaque à laquelle il ne pouvait sans impolitesse se dispenser de répondre. Insensiblement il s’échauffa en se défendant, et je vous assure, Mathilde, qu’il est aussi spirituel que joli homme ; je ne me rappelle pas l’avoir jamais vu sous un jour aussi avantageux : mais voilà qu’au milieu de notre conversation animée, un soupir étouffé de miss Lucy vint frapper mon oreille. J’étais trop généreuse pour pousser plus loin ma victoire, quand même je n’eusse pas craint papa. Heureusement pour moi, il était alors engagé dans une description détaillée des usages et des manières d’une certaine tribu d’Indiens qui vit dans le haut pays, et il en donnait des illustra-