Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/210

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un superbe Hyder-Aly ; je frappe sur mon malheureux clavecin ; je prends un livre sérieux et je commence à le lire par les dernières pages en remontant vers le commencement.

Après tout, je commence à être bien tourmentée du silence de Brown. S’il avait été obligé de quitter le pays, je suis sûre qu’il m’aurait au moins écrit. Mon père aurait-il intercepté ses lettres ? oh, non ! ce serait tout-à-fait contraire à ses principes. Il n’ouvrirait pas une lettre qui m’arriverait le soir, cela dût-il m’empêcher de décamper par la fenêtre le lendemain au point du jour. Quelle expression ai-je permis à ma plume de tracer ! J’en ai honte, Mathilde, quoique ce soit à vous seule que je puisse écrire une telle plaisanterie. D’ailleurs j’aurais tort de me faire un mérite d’agir comme je dois le faire, car M. Van Beest Brown n’est pas un amant assez ardent pour entraîner l’objet de son affection dans des démarches inconsidérées ; il donne tout le temps de réfléchir à ce qu’on doit faire. Cependant je ne le condamnerai pas sans l’avoir entendu, et je ne veux pas mettre en doute la fermeté de caractère d’un jeune homme dont je vous ai souvent parlé avec admiration. S’il était capable de crainte, de faiblesse ou d’inconstance, j’aurais peu à le regretter.

« Et pourquoi, me direz-vous, quand j’attends une fidélité et une constance si inaltérable de la part de mon amant, m’occupé-je de ce que fait Hazlewood et des soins qu’il prodigue à une autre ? Je me fais la même question cent fois par jour, et je ne peux trouver que cette sotte réponse, que, sans vouloir encourager une infidélité sérieuse, on n’aime pas à être négligée.

« Je vous écris toutes ces folies, parce que vous dites qu’elles vous amusent, et cependant je m’en étonne. Je me rappelle que dans nos voyages à la dérobée dans le pays de la fiction, vous admiriez toujours le sublime et le romanesque ; les chevaliers, les nains, les géants, les jouvencelles persécutées, les devins, les visions, les spectres menaçants et les mains sanglantes obtenaient tout votre intérêt, tandis que moi je préférais les intrigues embrouillées de la vie privée, où, au surplus, je n’admettais le surnaturel que par l’influence d’un génie oriental ou d’une fée bienfaisante. Vous auriez aimé à promener le vaisseau de votre vie sur le vaste Océan, avec ses calmes et ses tempêtes mugissantes, ses gouffres tourbillonnants et ses vagues hautes comme des montagnes, tandis que moi j’aurais aimé à laisser voguer ma nacelle sur un lac ou dans une baie dont les eaux fussent agités par un vent