Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/221

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celle d’un voleur de grand chemin, que le courage et la bonne volonté me manquèrent pour lui avouer mon attachement pour une personne à qui elle prêtait un tel extérieur. Miss Bertram est bien étrangement abusée par ses préventions, car il est peu d’hommes mieux faits que Brown. Je n’ai fait que l’entrevoir, et, quoique sa parure un peu négligée, son apparition soudaine et la scène dont elle fut suivie aient dû ne pas nous le montrer avec tous ses avantages, il me parut avoir plus de grâces, plus de noblesse que jamais. Le reverrai-je ? qui peut répondre à cette question ?

« Écrivez-moi sans me gronder, ma très chère Mathilde. Mais me grondez-vous jamais ? Cependant écrivez-moi bien vite, et, je le répète, sans me gronder. Je ne suis pas en position de profiter des avis ou des reproches, et n’ai pas la gaîté ordinaire pour y répondre par des plaisanteries. Je suis saisie de frayeur comme un enfant qui par étourderie a mis en mouvement une puissante machine : il regarde avec étonnement les roues tourner, les chaînes se froisser l’une contre l’autre, les cylindres rouler autour de lui, et s’effraie de l’action de ces forces auxquelles sa faible main a donné l’impulsion ; il voudrait alors en prévenir les conséquences, mais cela est au-dessus de son pouvoir.

« Je ne dois pas oublier de vous dire que mon père est très bon et très affectueux pour moi. L’effroi que j’ai éprouvé lui suffit pour expliquer mon agitation nerveuse.

« J’espère que Brown aura trouvé le moyen de passer en Angleterre, en Irlande, ou dans l’île de Man. Dans l’un ou l’autre de ces cas, il pourra attendre patiemment et en sûreté le rétablissement d’Hazlewood ; car, grâce au ciel, les communications entre l’Écosse et ces pays sont fort difficiles, et il est probable qu’on ne l’y poursuivra pas. Les conséquences de son arrestation en ce moment seraient terribles. J’essaie de me rassurer en me démontrant à moi-même l’impossibilité d’un tel malheur. Hélas ! avec quelle rapidité des chagrins et des craintes aussi réelles qu’effrayantes ont succédé à la vie tranquille et uniforme dont j’étais, il y a peu de temps, disposée à me plaindre. Mais je ne veux pas vous fatiguer plus longtemps de mes réflexions mélancoliques. Adieu, ma très chère Mathilde.

« Julia Mannering. »