Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/261

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titude du jurisconsulte lui-même, qui remplissait dans cette scène le principal personnage, frappèrent de surprise ses deux clients.

M. Pleydell était un homme aux mouvements brusques, au regard vif et pénétrant ; la finesse ordinaire de sa profession brillait dans ses yeux, et, au total, la gravité un peu pédante d’un avocat se reconnaissait dans toute sa personne. Mais cette gravité, il la déposait le samedi soir, en même temps que sa perruque à trois marteaux et sa redingote noire, quand il était entouré de joyeux compagnons, et prêt à tenir ce qu’il appelait ses grands jours. En ce moment on était à table, et le festin durait depuis quatre heures. Enfin sous la direction d’un vénérable ami de la bouteille, qui avait pris part à la joie et aux divertissements de trois générations successives, la troupe, un peu échauffée, venait de commencer l’ancien jeu, maintenant oublié, des high-jinks. Ce jeu se jouait de différentes manières. Le plus souvent, on jetait les dés sur la table, et celui que le sort désignait, était obligé de prendre et de soutenir pendant quelque temps un caractère de convention, ou de répéter un certain nombre de vers fescennins[1] dans un ordre particulier. S’il sortait un instant du caractère assigné, ou si sa mémoire le trahissait lorsqu’il débitait les vers, des amendes étaient prononcées contre lui. Ces amendes étaient employées soit à boire une dose d’eau-de-vie de surérogation, soit à dégrever d’autant le mémoire général de la soirée. C’est ce passe-temps qui occupait toute l’attention de la compagnie quand Mannering entra dans la chambre.

Le conseiller Pleydell, tel que nous venons de le dépeindre, était intronisé, comme un monarque, dans un fauteuil placé sur la table, la tête entourée d’une couronne de bouchons, les yeux clignotants avec une expression qui tenait de la gaîté et un peu de l’ivresse, pendant que sa cour, autour de lui, répétait des bouts-rimés du genre de ceux-ci :

Où donc Géronte est-il ? où s’est-il fourvoyé ?
Pour n’avoir su nager, Géronte s’est noyé.

Ô Thémis ! tels étaient jadis les amusements de tes enfants d’Écosse.

Dinmont était entré le premier ; il demeura un moment stupéfait… puis il s’écria : « C’est lui ! bien sûr, c’est lui ! Mais diable ! il n’est pas aisé de le reconnaître. »

À ces mots prononcés par le garçon : « M. Dinmont et le colonel

  1. Vers libres que l’on chantait à Rome les jours de fête. a. m.