Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/306

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n’était plus, pour ainsi dire, que l’ombre de lui-même : avançant tantôt un pied, tantôt l’autre, tantôt restant immobile, tantôt jouant avec les boutons de son gilet, tantôt joignant les mains, il offrait la véritable image d’un lâche et bas coquin dans les angoisses de la crainte, redoutant le moment où sa bassesse va être reconnue. Ces symptômes, tout frappants qu’ils fussent, n’étaient pas remarqués de Bertram, absorbé dans ses propres réflexions. Quoiqu’il s’adressât à Glossin, c’était bien moins à lui qu’il faisait attention qu’à la confusion inexplicable de ses propres souvenirs et de ses sentiments. « Oui, dit-il, je n’ai pas oublié ma langue maternelle parmi les matelots, dont beaucoup parlaient anglais ; et quand j’étais seul dans un coin, je chantais cette ballade du commencement à la fin. Maintenant je n’en sais plus un mot ; mais je me rappelle bien l’air ; je ne sais ce qui le retrace si vivement à ma mémoire.

Il tira son flageolet de sa poche, et joua un air fort touchant. Cet air éveilla sans doute des souvenirs analogues à ceux de Bertram, dans l’esprit d’une jeune fille qui lavait du linge à une fontaine située à peu de distance, à mi-chemin de la descente ; et elle se mit à chanter la chanson dont l’air arrivait à ses oreilles.

Du Forth sont-ce là les rivages,
Ou la Dee aux bords enchantés,
Ou de Warroch les bois sauvages,
Qu’avec tant de plaisir mon cœur eût visités ?

« Par le ciel ! dit Bertram, voilà la ballade. Il faut que cette jeune fille me l’apprenne. »

« Malédiction ! pensa Glossin ; si je ne trouve moyen d’empêcher cela, tout est perdu. Le diable enlève toutes les ballades, et ceux qui les font, et ceux qui les chantent, et cette damnée coquine avec sa voix !… — Vous aurez le temps un autre jour, dit-il enfin d’une voix haute (il apercevait son émissaire avec deux ou trois hommes, arriver sur la plate-forme). Pour le moment, il faut que nous ayons ensemble une conversation un peu plus sérieuse. — Comment l’entendez-vous, monsieiur ? » dit Bertram se retournant brusquement, et offensé du ton qu’il prenait.

« Mais, monsieur, ce que je dis est clair… Je crois que vous vous nommez Brown, continua Glossin. — Et que vous importe, monsieur ? »

Glossin regarda par dessus son épaule, si son monde approchait ; ils n’étaient plus qu’à deux pas. « Van Beest Brown, si je ne me