Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quoique nous ayons suffisamment parlé du laird lui-même, il nous reste encore à faire un peu connaître au lecteur son compagnon. C’était Abel Sampson, communément appelé, à cause de ses fonctions de pédagogue, Dominie Sampson. Il était d’une basse naissance ; mais ayant montré même dès son berceau un caractère sérieux, ses pauvres parents furent encouragés par l’espoir que leur bairn[1], comme ils disaient, pourrait montrer sa tête dans une chaire. Dans ces vues ambitieuses et pour un tel projet, ils augmentèrent donc leurs épargnes, se levèrent de bonne heure, se couchèrent tard, mangèrent du pain dur, burent de l’eau claire, pour donner à leur Abel les moyens de s’instruire. Cependant sa grande et triste figure, ses manières graves et taciturnes, et une certaine habitude grotesque de balancer ses jambes et de grimacer en récitant ses leçons, rendaient le pauvre Sampson le jouet de ses camarades d’école. Les mêmes qualités lui assurèrent au collège une égale portion du même ridicule. La foule de ses condisciples s’assemblait régulièrement pour voir Dominie Sampson (car on lui avait déjà conféré cet honorable titre) descendre l’escalier de la classe de grec, son Lexicon sous son bras, perché sur deux longues jambes mal proportionnées, courbées en dehors, et faisant maladroitement jouer deux omoplates qui élevaient et abaissaient un long habit noir montrant la corde, et qui était son seul et unique habillement. Lorsqu’il parlait, les efforts du professeur étaient impuissants pour arrêter le rire inextinguible des écoliers, et quelquefois même pour s’empêcher d’éclater lui-même. Ce long et pâle visage, ces yeux de bœuf ; cette énorme mâchoire inférieure qui ne paraissait pas s’ouvrir et se fermer par un acte de sa volonté, mais bien par un mécanisme compliqué et caché dans son intérieur ; sa voix aigre et discordante qui ressemblait au cri de l’orfraie, lorsqu’on l’engageait à prononcer plus distinctement : tout cela l’exposait à la risée, indépendamment de l’habit déchiré et des souliers percés qui ont toujours fourni de légitimes sujets de raillerie contre le pauvre écolier, depuis le temps de Juvénal jusqu’à ce jour. Jamais Sampson ne montra de colère de ces mauvaises plaisanteries, et ne fit aucun effort pour les rendre à ceux qui le tourmentaient. Il s’échappait du collège par le chemin le plus secret qu’il pouvait découvrir, et allait s’ensevelir dans une misérable chambre où, pour 18 pences[2] par semaine, il jouissait de la faveur d’un grabat de paille, et, si

  1. Bairn, mot écossais pour child, enfant. a. m.
  2. Un franc quatre-vingt centimes de France. a. m.