Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/374

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« Allons, allons, dit l’avocat, silence à la cour : nous avons affaire à forte partie ; ne perdons point de temps et achevons l’instruction… Je crois que nous aurons quelque chose à faire avant le lever du soleil. — J’ordonnerai qu’on selle un cheval, si vous le voulez ? dit le colonel. — Non, non ; nous avons le temps… nous avons le temps… Mais en voilà assez, Dominie. Je vous ai accordé un espace de temps convenable pour donner cours à votre émotion. Il faut y mettre un terme, et me laisser poursuivre mon interrogatoire. »

Dominie était, de sa nature, porté à obéir à quiconque lui donnait un ordre ; il retomba sur sa chaise, plaça son mouchoir rayé devant sa figure, comme pour tenir lieu du voile du peintre grec[1] ; et tenant ses mains jointes, il parut, pendant quelque temps, occupé à rendre au ciel de silencieuses actions de grâces. Parfois il ouvrait les yeux, comme pour s’assurer que cette agréable apparition ne s’était pas évanouie, puis il se livrait de nouveau à sa dévotion intérieure. Mais bientôt l’intérêt que lui inspiraient les questions de l’avocat captivèrent son attention.

« Maintenant, » dit M. Pleydell à Bertram après quelques questions minutieuses sur ses souvenirs d’enfance ; « maintenant, monsieur Bertram, car je pense à l’avenir devoir vous appeler de ce nom, voudriez-vous nous apprendre toutes les particularités que vous retrace votre mémoire, relativement à la manière dont vous avez quitté l’Écosse ? — Pour dire la vérité, monsieur, quoique les souvenirs de cette journée soient imprimés profondément dans ma mémoire, la terreur en a, jusqu’à un certain point, confondu et effacé les détails… Je me rappelle seulement que je me promenais, je ne sais où… dans un bois peut-être… — Oui, oui, dans le bois de Warroch, mon cher enfant ! s’écria Dominie. — Silence, monsieur Sampson ! dit l’avocat. — Oui, c’était dans un bois, » continua Bertram dont les idées obscures et presque effacées revivaient peu à peu dans sa mémoire ; « il y avait quelqu’un avec moi… ce digne et cher monsieur, je crois. — Oh ! oui, oui, Henri ; que le ciel te bénisse ; c’était moi-même. — Silence, Dominie ! s’écria M. Pleydell, n’interrompez pas ainsi… Vous disiez, monsieur Bertram ?… — Il me semble, comme à un homme qui change de rêve, que j’étais à cheval devant mon guide. — Non, non, s’écria Samp-

  1. Ce peintre dans l’impossibilité de donner au visage d’Agamemnon l’expression qu’il devait avoir au moment où sa fille va être immolée, lui couvrit la tête d’un voile. a. m.