Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/386

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sieurs tranches de bœuf. Une sorte d’instinct lui disait qu’il pourrait manger et parler deux fois plus avec cette dame et avec Barnes qu’avec les maîtres dans le salon : et en effet le repas fut plus gai que celui de la société réunie à la table du colonel. Un air de contrainte universelle y régnait. Julia osait à peine élever la voix pour demander à M. Bertram s’il voulait une seconde tasse de thé ; Bertram se sentait embarrassé par la présence de Mannering. Lucy, au plus fort de la joie d’avoir retrouvé son frère, commençait à penser à sa querelle avec Hazlewood. Le colonel ressentait la contrainte naturelle à un homme fier qui sait que la moindre de ses actions est observée et commentée par les autres. L’avocat, tout en étendant le beurre sur son pain, conservait un air de gravité inaccoutumé, qui provenait peut-être de ses sérieuses occupations du matin. Quant à Dominie, il était dans l’extase ; il regardait tantôt Bertram, tantôt Lucy ; il soupirait, grimaçait, avait mille distractions inexplicables. Il versa toute la crème dans l’immense tasse qui lui servait d’ordinaire pour déjeuner (ce qui n’était nullement malheureux pour lui) ; il jeta le fond de sa tasse de thé dans le sucrier, croyant sans doute le jeter dans la jatte destinée à cet usage ; enfin il répandit la théière bouillante sur l’épagneul favori du colonel, le vieux Platon, qui reçut cette aspersion avec un hurlement qui faisait peu d’honneur à sa philosophie.

L’impassibilité du colonel ne put tenir à cette dernière gaucherie. « Sur mon honneur, monsieur Sampson, vous oubliez la différence qui existe entre Platon et Xénocrate ! — Le premier était chef des Académiciens, et le second des Stoïciens, répondit Dominie un peu piqué de la supposition. — Sans doute, mon cher monsieur ; mais c’est Xénocrate et non Platon qui pensait que la douleur n’est pas un mal. — J’aurais cru, dit M. Pleydell, que le respectable quadrupède qui vient de sortir de l’appartement sur trois jambes, était de la secte des Cyniques. — Excellente répartie ! Mais voici la réponse de M. Mac-Morlan. »

Elle n’était pas telle qu’on l’aurait souhaitée. Mistress Mac-Morlan présentait ses compliments respectueux ; elle annonçait que son mari avait été forcé de se rendre à Portanferry par suite des désordres qui avaient eu lieu dans cette ville la nuit précédente, et qu’il y était retenu par l’instruction qu’il était obligé de faire à ce sujet.

« Que ferons-nous, monsieur Pleydell ? lui dit Mannering. — J’aurais désiré que Mac-Morlan pût venir : c’est un homme intelligent,