Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/127

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en renonçant à quelques-uns des péchés qu’il commettait le plus souvent, surtout celui de l’intempérance, duquel il était, comme beaucoup de ses grossiers camarades, fort coutumier.

Cette résolution lui fut autant dictée par prudence que par religion ; car il lui avait paru possible que des affaires d’une nature difficile et délicate lui tombassent entre les mains dans sa position critique, et il fallait, pour qu’il s’en acquittât convenablement, qu’il consultât un meilleur oracle que celui de la bouteille célébré par Rabelais. Aussi, pour ne pas manquer à cette prudente détermination, il ne toucha ni à l’aie ni à l’eau-de-vie qui furent placées devant lui, et refusa même le vin sec que son ami voulait faire mettre sur la table. Néanmoins, à l’instant où le garçon enlevait les assiettes et les serviettes, ainsi que la grande cruche noire dont nous avons déjà parlé, lorsqu’il fut à deux ou trois pas de la table dans la direction de la porte, le bras nerveux du Cavalier sembla s’allonger à dessein, car il s’étendit bien au-delà des plis de sa jaquette râpée, et saisissant la cruche, il l’approcha de ses lèvres, et murmura d’un air joyeux : « De par le diable !.. je veux dire le ciel me pardonne !… nous sommes de bien faibles créatures… Un modeste petit coup peut être permis à notre fragilité. »

Ayant ainsi parlé, il colla le large flacon à ses lèvres ; et comme la tête s’inclinait lentement et graduellement en arrière, à mesure que la main droite élevait le fond de la cruche, Éverard douta fort que le buveur s’en séparât avant de l’avoir entièrement vidée. Roger Wildrake s’arrêta pourtant lorsque, sans exagérer, il eut bu d’un seul trait environ un quart et demi de la cruche.

Il la replaça alors sur le plateau, respira longuement pour se rafraîchir les poumons, et ordonna au garçon de s’en aller avec le reste des liqueurs, avec un ton qui annonçait combien il était peu sûr de lui-même ; puis, se tournant vers son ami Éverard, il lui fit un éloge pompeux des avantages delà modération,

et ne manqua pas de lui faire observer que la gorgée qu’il venait de prendre lui avait plus profité que s’il fût resté à table à porter des santés pendant quatre heures.

Son ami ne répondit rien, mais il ne put s’empêcher de penser intérieurement que la tempérance de Wildrake avait d’un seul coup vidé la bouteille plus facilement que n’auraient pu faire quelques buveurs modérés qui seraient restés à boire une soirée entière. Mais la conversation changea par l’arrivée de l’aubergiste, qui vint annoncer à Son Honneur le colonel Éverard que l’honorable maire