Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/206

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grec. Le vieux Geoffrey fait retomber la cause de nos visions nocturnes sur la superfluité des humeurs.

Qui font qu’on a peur dans les songes
De flèches, de rayons brûlants,
Comme, par de vagues mensonges,
L’homme, endormi dans ses tourments,
A peur des taureaux mugissants,
Des ours noirs et de vingt fantômes
Échappés du pays des gnomes. »

Tandis qu’il déclamait ainsi, Éverard aperçut un livre qui sortait un peu de dessous l’oreiller du lit où venait de dormir l’honorable membre du parlement.

« Est-ce Chaucer ? » demanda-t-il en montrant le volume… « Je voudrais y lire le passage… — Chaucer !.. » dit Bletson se hâtant de l’arrêter ; « non… c’est Lucrèce, mon cher Lucrèce. Je ne puis vous le laisser voir… J’y ai fait quelques notes que moi seul… »

Mais Éverard s’était déjà emparé du livre. « Lucrèce ! maître Bletson, non… ce n’est pas Lucrèce, mais un meilleur auxiliaire contre la mort et le danger… Pourquoi en seriez-vous honteux ?… Seulement, Bletson, au lieu d’y reposer votre tête, si vous pouviez vous pénétrer du contenu de ce volume, il vous servirait mieux que Lucrèce et Chaucer ensemble. — Mais, quel livre est-ce donc ? » dit Bletson, ses pâles joues se colorant de la honte d’être découvert… « Oh ! la Bible, ajouta-t-il en la jetant d’un air de dédain, quelque livre : appartenant à ce drôle de Gibéon… Ces Juifs sont toujours superstitieux,… toujours, depuis le temps de Juvénal même, comme vous savez…

Qualiacumque voles Judœi somnia vendunt[1].

« Il m’a laissé le bouquin comme un charme, je vous en réponds : quoique fou, il n’a pas de mauvaises intentions. — Je m’étonne qu’il ait laissé le Nouveau-Testament aussi bien que l’Ancien, dit Éverard. Allons, mon cher Bletson, ne rougissez pas de la meilleure action que vous ayez faite de votre vie, en supposant que vous ayez pris votre Bible dans un moment de crainte, avec l’envie de profiter de ses maximes. »

La vanité de Bletson était si cruellement froissée, qu’elle l’emporta sur sa poltronnerie naturelle. Ses petits doigts maigres fris-

  1. Les Juifs vendent tous les songes que vous voulez. a. m.