Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/219

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qui s’étaient jetés dans le lac des plus basses fenêtres, pour échapper en plongeant, rencontrèrent la mort ; car des soldats à cheval sur le bord, aussi altérés de sang que leurs camarades qui avaient donné l’assaut, galopaient autour du lac, et tiraient sur les malheureux qui se débattaient dans l’eau contre la mort, ou les hachaient dès qu’ils étaient parvenus à en sortir. Tous furent taillés en pièces et massacrés… Oh ! puisse le sang versé ce jour-là rester silencieux !… Oh ! puisse la terre le recevoir dans ses plus profondes entrailles !… Oh ! puisse-t-il s’être mêlé pour toujours avec les noires ondes du lac, et ne crier jamais vengeance contre ceux dont la colère fut terrible, et qui massacrèrent dans leur colère !… Et, oh ! puisse-t-il être pardonné à ce pécheur qui augmenta leur nombre, et éleva sa voix pour exciter leur cruauté !… Albany, mon frère, mon frère… je t’ai pleuré comme David pleura Jonathas ! »

Le digne ministre sanglota, et le colonel Éverard partagea si bien son émotion qu’il différa de l’engager à satisfaire l’objet principal de sa curiosité, jusqu’à ce que le torrent impétueux de sa douleur et de ses regrets se fût calmé pour le moment, car cette douleur était vive et violente, d’autant plus violente peut-être, que le caractère rigide du ministre et sa vie ascétique l’avaient habitué à ne point s’abandonner à de fortes affections morales, et il lui était dès lors plus difficile de se maîtriser quand il en était une fois arrivé à ce point. De grosses larmes coulaient sur les traits tremblants de sa figure maigre, ordinairement sévère, ou du moins austère. Il serra affectueusement la main d’Éverard qui avait pris la sienne, comme pour le remercier de la sympathie qu’indiquait cette caresse.

Aussitôt après, maître Holdenough s’essuya les yeux, retira doucement sa main de celle d’Éverard, après l’avoir encore pressée, et continua sur un ton plus calme :

« Pardonnez-moi cet éclat d’émotion, digne colonel… Je sais qu’il ne sied guère à un homme de mon caractère, et qui devrait porter des consolations aux autres, de s’abandonner pour des chagrins personnels à un tel excès de désespoir, qui est une faiblesse du moins, sinon un péché ; car que sommes-nous pour pleurer et gémir de ce que la Providence permet ? Mais je regardais Albany comme mon frère. J’avais passé avec lui et près de lui les plus heureux jours de ma vie, avant que ma vocation à prendre part aux troubles du pays m’eût imposé de sacrés devoirs. Mais… oui… je dois abréger le reste de mon histoire. » Alors il rapprocha