Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/237

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qu’il tenait pour ainsi dire en arrêt ; puis sans aboyer, ni se précipiter, semblant, par un grondement sourd et résolu, n’attendre que le signal pour se jeter sur la femme qu’il regardait évidemment comme suspecte.

Mais l’étrangère n’en fut pas épouvantée. « Ma jolie fille, dit-elle, vous auriez certainement là un formidable gardien s’il s’agissait de rustres ou d’enfants ; mais nous qui avons été à la guerre, nous avons des charmes pour apprivoiser ces furieux dragons : tâchez donc que votre protecteur ne s’élance pas sur moi, car c’est un noble animal, et ce ne serait que pour me défendre que je me résoudrais à lui faire du mal. » À ces mots, elle tira un pistolet de son sein, l’arma, ajustant le chien, comme si elle craignait qu’une se précipitât sur elle.

« Arrêtez, femme, arrêtez ! dit Alice Lee ; mon chien ne vous fera aucun mal… À bas, Bévis, couchez-vous là… Et vous, avant d’en venir à une pareille extrémité, sachez que c’est le chien favori de sir Henri Lee de Ditchley, conservateur du parc de Woodstock, qui punirait sévèrement tout le mal qu’on pourrait lui faire. — Et vous, ma belle, vous êtes la ménagère du vieux chevalier, sans doute ! car j’ai souvent entendu parler du bon goût des Lee. — Je suis sa fille, bonne femme. — Sa fille !… j’étais donc aveugle… mais aussi bien, c’est vrai ; rien ne répond plus exactement au portrait que tout le monde m’a fait de mistress Alice Lee. J’espère que ma folie n’a point offensé ma jeune mistress, et qu’elle me permettra, en signe de réconciliation, d’emplir sa cruche, et de la porter aussi loin qu’elle voudra. — Comme il vous plaira, bonne mère ; mais il faut que je retourne sur-le-champ à la Loge, où, dans un pareil moment, je ne puis recevoir d’étrangers. Vous ne pouvez me suivre que jusqu’à l’extrémité du désert, et il y a déjà trop long, temps que je suis absente de la maison : j’enverrai quelqu’un vous rejoindre et prendre la cruche. » À ces mots, elle se détourna avec une frayeur dont elle ne pouvait se rendre compte, et se dirigea d’un bon pas vers la Loge, espérant échapper ainsi à son importune connaissance.

Mais elle se trompa ; en un instant sa nouvelle compagne fut à ses côtés, ne courant pas, il est vrai, mais faisant des enjambées beaucoup trop longues pour une femme, qui la mirent bientôt au pas avec la timide jeune fille, malgré l’avance qu’elle avait prise. Cependant ses manières étaient plus respectueuses qu’auparavant, quoique le son de sa voix fût extrêmement dur et déplaisant, et