Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/278

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en m’accablant de questions hors de propos ? — Je rongerai un os avec vous de tout mon cœur, répondit Albert ; et en même temps, docteur, je vous adresserai plusieurs questions qui semblent venir assez à propos. »

À ces mots il se mit à table et aida le docteur à expédier deux canards sauvages et une brochetée de sarcelles. Bévis, qui tenait sa place avec patience et se faisait comprendre admirablement, eut sa part d’une rouelle de veau qui était aussi sur la table ; car, comme la plupart des chiens bien élevés, il refusait de manger des oiseaux aquatiques.

« Voyons donc, Albert Lee, » dit le docteur en mettant son couteau et sa fourchette dans son assiette, et dénouant la serviette de son cou dès que Jocelin fut parti ; « tu es encore le même que lorsque j’étais ton précepteur. Tu ne te contentais pas d’avoir appris une règle de grammaire, mais tu me persécutais toujours de questions pour savoir pourquoi la règle était ainsi et non autrement, curieux à l’excès d’explications que tu ne pouvais comprendre, comme Bévis qui, ayant faim, demandait une aile de canard qu’il ne pouvait manger. — J’espère que vous me trouverez plus raisonnable, docteur ; et en même temps que vous vous rappellerez que je ne suis plus sub ferulâ, mais dans une position où je ne suis pas libre d’agir d’après l’ipse dixit de personne, à moins d’être convaincu par mon propre jugement. Je mériterais d’être pendu, écartelé et coupé en quatre, si par mon imprudence il arrivait quelque malheur dans cette affaire. — Et c’est pour cela même, Albert, que je voudrais que vous l’abandonnassiez toute à mes soins sans vous en mêler. Vous dites que vous n’êtes plus sub ferulâ ; mais songez que pendant que vous combattiez sur le champ de bataille, je conspirais dans le cabinet ; que je connais toutes les manœuvres des amis du roi et tous les mouvements de ses ennemis, aussi bien qu’une araignée connaît chaque fil de sa toile. Réfléchissez à mon expérience, jeune homme. Il n’est pas un Cavalier dans tout le pays qui n’ait entendu parler de Rochecliffe le conspirateur. J’ai toujours été la cheville ouvrière de tout ce qui a été tenté depuis 1642… J’ai rédigé des déclarations, entretenu des correspondances, communiqué avec les chefs, recruté des troupes, procuré des armes, trouvé de l’argent, et marqué les rendez-vous. Je faisais partie de l’insurrection de l’ouest, et avant, j’avais participé à la pétition et au soulèvement de sir John Owen dans le pays de Galles ; bref j’ai été le chef de presque tous les complots tramés