Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/304

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traite des amours de ces célèbres Arcadiens était alors la lecture favorite des bergers et des bergères de toute l’Angleterre. Phœbé, préoccupée de tels soupçons, ne savait comment se conduire en cette circonstance, et cependant elle était résolue à protéger le véritable amour d’Éverard, sans cependant chercher à venir à son secours. Elle avait un attachement particulier pour lui ; et d’ailleurs c’était, comme elle le disait souvent, le jeune homme le plus beau et le mieux fait de tout le comté d’Oxford. Cet épouvantail d’Écossais ne pouvait lui être comparé en aucune manière ; et pourtant elle reconnaissait que maître Kerneguy parlait fort agréablement et à propos, et que des galants de cette espèce ne sont pas à mépriser. Que fallait-il donc faire ?… Elle n’avait aucun fait précis à alléguer, mais seulement de vagues soupçons ; elle n’osait parler à sa maîtresse, dont la bonté, quelque grande qu’elle fût, ne permettait pourtant pas cette familiarité.

Elle sonda Jocelin ; mais il était, sans qu’elle sût pourquoi, si bien disposé pour ce vilain page, il avait une si haute idée de son importance, qu’elle ne fit aucune impression sur lui. Le digne chapelain, qui était à Woodstock l’arbitre souverain de toutes les contestations, aurait été la ressource naturelle de la jeune suivante ; car il était aussi pacifique qu’attaché à la morale par sa profession, et profond politique par ses habitudes ; mais sans le vouloir il avait offensé Phœbé en la désignant par l’épithète classique de rustica fidelis ; comme elle ne la comprenait pas, elle la prit pour une injure, et déclara qu’elle n’aimait pas plus le violon (fiddle[1]) que les autres ; et depuis cette époque, elle n’avait eu avec le docteur Rochecliffe d’autres communications que celles qu’elle n’avait pu éviter.

Maître Tomkins allait et venait toujours dans la maison sous différents prétextes ; mais c’était une Tête-ronde, et elle était trop fidèlement attachée aux Cavaliers pour introduire un de leurs ennemis dans leurs discordes intestines… D’ailleurs il avait parlé à Phœbé sur un ton qui l’empêchait de prendre avec lui la moindre familiarité. Enfin, elle pouvait encore consulter le Cavalier Wildrake ; mais elle disait avec emphase, et elle avait des motifs plus que suffisants pour le dire, que le Cavalier Wildrake était un impudent libertin de Londres. Enfin elle se détermina à faire part de

  1. Il y a ici un jeu de mot intraduisible en français ; Phœbé confond le mot latin fidele avec le mot anglais fiddle, violon. a. m.