Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/331

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Jeanneton ; et le principal défaut du style est son extrême niaiserie et son ennuyeuse affectation. Mais quand vous en venez à vous jeter à genoux, à vouloir me prendre la main et à parler sur un ton plus sérieux, je dois vous rappeler nos rôles véritables. Je suis fille de sir Henri Lee, monsieur, et vous êtes, ou vous prétendez être maître Louis Kerneguy, page de mon frère, et fugitif réfugié sous le toit de mon père qui s’expose au danger par l’asile qu’il vous accorde ; ce sont des motifs trop puissants pour que la maison soit troublée par vos importunités désagréables. — Plût au ciel, belle Alice, que vos objections à la tendresse que je vous déclare, non par plaisanterie, mais fort sérieusement, puisque mon bonheur dépend de votre réponse, fussent fondées seulement sur la basse et précaire condition de Louis Kerneguy !… Alice, vous avez l’âme de votre famille, et devez nécessairement aimer l’honneur. Je ne suis pas plus le page écossais dont, pour servir mes desseins et par nécessité, j’ai joué le rôle, que je ne suis le rustre maladroit dont j’avais pris les manières la première soirée que j’eus le bonheur de vous voir et de faire votre connaissance ; cette main, toute pauvre qu’elle paraît être en ce moment, peut donner une couronne de seigneur. — Gardez-la pour quelque demoiselle plus ambitieuse, milord, car si ce que vous venez de dire est vrai, je dois vous donner ce titre… Je n’accepterais pas votre main, fussiez-vous en état de me donner un duché. — Dans un sens, aimable Alice, vous n’avez pas porté trop haut mon pouvoir ou mon affection. C’est votre roi… c’est Charles Stuart qui vous parle !… Il peut donner des duchés ; et si jamais beauté s’en est rendue digne, c’est bien Alice Lee… Oh ! oh !… levez-vous… ne vous agenouillez pas… C’est à votre souverain à tomber à vos genoux, Alice, à vous à qui il est mille fois plus dévoué que le fugitif Louis n’osait se hasarder à en faire l’aveu. Mon Alice, je le sais, a été élevée dans de tels principes d’amour et d’obéissance à son souverain, qu’elle ne peut en conscience, ni par miséricorde, lui causer une blessure comme celle qu’il recevrait si elle rejetait son amour. »

En dépit de tous les efforts que fit Charles pour l’en empêcher, Alice avait mis un genou en terre jusqu’à ce qu’elle eût touché de ses lèvres la main qui voulait la relever. Mais après lui avoir rendu cet hommage, elle se tint debout, les bras croisés sur son sein… le regard modeste, mais calme, vif et vigilant, maîtresse d’elle-même, si peu flattée du secret qui devait, ainsi que le roi le pen-