Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/343

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d’un simple gentilhomme. Que diraient ses sages conseillers Nicolas et Hyde ? que dirait son cher et prudent gouverneur le marquis de Herford, d’un tel acte de témérité et de folie ? Cet acte n’ébranlerait-il pas l’obéissance des graves et circonspects partisans de la cause royaliste ? car pourquoi sacrifieraient-ils leur vie et leur fortune pour replacer à la tête d’un royaume un jeune homme qui ne savait commander à ses propres passions ? À tout cela, il fallait encore ajouter cette considération, que sa victoire même dans le duel mettrait de nouvelles difficultés à son évasion, et elles étaient déjà en assez grand nombre. Si, sans lui porter un coup mortel, il avait simplement l’avantage sur son adversaire, comment savait-il si cet ennemi ne chercherait pas à se venger en livrant au gouvernement le malveillant Louis Kerneguy, dont le véritable nom en cette circonstance ne manquerait point d’être découvert ? »

Ces considérations engageaient fortement Charles à terminer ce défi sans se battre ; et la réserve qu’il avait stipulée en l’acceptant lui donnait quelque facilité de le faire.

Mais la passion avait aussi ses arguments, et elle les adressait à un naturel rendu irritable par des revers récents et la mortification qu’il venait d’éprouver. S’il était prince, il était aussi gentilhomme, et par conséquent en droit de se venger comme tel, et obligé à donner ou à exiger la satisfaction à laquelle, en cas de querelles, étaient tenus ceux qui avaient ce titre. Il pensait aussi qu’il ne perdrait pas non plus l’amour des Anglais pour s’être montré prêt, au lieu de se faire un abri de sa royale naissance et de ses prétentions au trône, à aller sur le terrain et à soutenir, au péril de sa vie, ce qu’il avait fait ou dit. Chez un peuple libre, il lui semblait qu’il avait plutôt à gagner qu’à perdre dans l’estime publique par une conduite qui ne pouvait que paraître brave et généreuse. Puis une réputation de bravoure était bien plus nécessaire pour appuyer ses prétentions que toute autre réputation qu’on pourrait lui faire. Si on lui proposait un cartel sans qu’il y répondît, on devait nécessairement le taxer de lâcheté. Que diraient Villiers et Wilmot d’une intrigue où il aurait été honteusement raillé par une fille de campagne sans avoir osé punir son rival ? Les pasquinades qu’ils composeraient, les spirituels sarcasmes qu’ils débiteraient à ce propos, seraient plus durs à supporter que les graves réprimandes de Herford, Hyde et Nicolas. Ces réflexions, jointes à un jeune et bouillant courage, fixèrent enfin sa résolution ; et il revint à la Loge, déterminé à se trouver au rendez-vous, quoi qu’il pût en advenir.