Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/355

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à régler une affaire des plus urgentes qui l’empêchait de se rendre aux désirs de maître Kerneguy et de quitter la place.

« Pardonnez-moi une interruption qui arrive si mal à propos, » dit Charles en se découvrant et en saluant le colonel Éverard, « je vais en un instant lever toutes les difficultés. »

Éverard lui rendit gravement son salut, et garda le silence.

« Êtes-vous fou, docteur ? lui dit Charles ; êtes vous sourd ? ou avez-vous oublié votre langue maternelle ? je vous ai prié de quitter ces lieux. — Je ne suis pas fou, » répondit le théologien reprenant courage et donnant à sa voix son assurance ordinaire. « Je voudrais seulement empêcher les autres de l’être. Je ne suis pas sourd, et je voudrais prier les autres d’écouter la voix de la raison et de la religion. Je n’ai pas oublié ma langue maternelle, mais je suis venu ici pour parler le langage du maître des rois et des princes. — Dites plutôt pour vous escrimer avec des manches à balai ; allons, docteur Rochecliffe, cette rage soudaine d’importance qui vous prend vous va aussi mal que votre boutade de tout à l’heure. Vous n’êtes pas, ce me semble, un prêtre catholique ou un Mass-John[1] écossais, pour exiger une obéissance absolue de vos ouailles, mais bien un ministre de l’Église d’Angleterre, soumis aux règles de cette communion, et surtout à son chef. » En prononçant ces derniers mots, le roi parla plus bas, mais prit un ton plus solennel. Éverard s’en aperçut, car il se retourna ; tant la générosité naturelle de son caractère lui défendait de prêter l’oreille à un entretien privé où la sûreté des interlocuteurs pouvait être gravement intéressée ! Ils s’exprimaient cependant avec la plus grande précaution.

« Maître Kerneguy, dit le ministre, ce n’est pas moi qui prends la liberté de contrôler vos désirs… Dieu m’en garde ! je suis seulement l’organe de la raison, des saintes Écritures, de la religion et de la morale. — Et moi, docteur, » répondit le roi en souriant et en montrant la malheureuse canne, « je suivrai votre exemple plutôt que votre précepte. Si un révérend ecclésiastique se peut battre au bâton, quel droit a-t-il d’intervenir dans une dispute de gentilshommes ?… Allons, monsieur, éloignez-vous, et ne me mettez pas, par votre entêtement actuel, dans le cas d’oublier d’anciennes obligations. — Songez que je n’ai qu’un mot à prononcer pour tout arrêter ! — Prononcez-le, et en le prononçant, calomniez tout le cours et toutes les actions d’une honorable vie… abandonnez les princi-

  1. Ministre presbytérien. a. m.