Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/52

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ta longue épée tachée de sang, tu sauterais comme les benêts de Hogs-Norton[1], quand les pourceaux jouent de l’orgue. »

L’indépendant se retourna fièrement vers le garde, et répondit : « Comment donc, monsieur du justaucorps vert ? quel langage osez-vous tenir à un homme qui met la main à la charrue ? Je te conseille de retenir ta langue, pour que tes reins ne souffrent pas de ses écarts. — Allons, ne prends pas avec moi un ton si haut, frère, répliqua Jocelin ; songe un peu que tu n’as plus affaire au vieux chevalier de soixante ans, mais à un gaillard aussi vif, aussi rude que toi, un peu davantage peut-être… plus jeune en tout cas… Et pourquoi prendre tant d’ombrage à propos d’un mai ? Je voudrais que tu eusses connu un nommé Phil Hazeldine des environs… c’était le plus habile des danseurs moresques depuis Oxford jusqu’à Burford. — Alors, ce n’en était que plus honteux pour lui, répliqua l’indépendant ; mais je suis sûr qu’il a reconnu son égarement, et qu’il est parvenu… s’il était homme à prendre un parti, et c’était chose facile, à vivre en meilleure compagnie qu’avec des braconniers, des voleurs de daims, des maid-marions[2], des ferrailleurs, des libertins ruinés, des querelleurs sanguinaires, des hommes dissolus, des femmes légères, des farceurs, des baladins et des joueurs de violon, enfin tous ces gens qui ne recherchent que la volupté charnelle. — Bien ! répondit le garde, l’haleine vous a manqué à temps, car nous voici en face du mai de Woodstock. »

Ils s’arrêtèrent dans une vaste clairière couverte de gazon, bordée par des chênes majestueux et de grands sycomores, dont l’un, comme roi de la forêt, s’élançait à quelque distance des autres, comme s’il eût dédaigné le voisinage d’un rival. Ses branches desséchées étaient noueuses, mais son énorme tronc montrait encore à quelle hauteur le monarque des forêts peut s’élever dans les plaines de la joyeuse Angleterre.

« On l’appelle le chêne du roi, dit Jocelin ; les plus vieux habitants de Woodstock ne sauraient dire quel est son âge : on prétend que Henri avait l’habitude de s’asseoir dessous avec la belle Rosemonde, pour voir danser les jeunes filles, et les jeunes garçons du village se disputer la course ou lutter ensemble pour des ceinturons

  1. Les habitants de Hogs-Norton, village du comté d’Oxford, ont une réputation plus ou moins méritée d’esprits lourds et bornés. a. m.
  2. Personnages des danses mauresques, où l’on représentait l’histoire de Robin Wood et de sa bande. a. m.