Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/74

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quoique je préférasse la main de votre fille à toutes les faveurs que le ciel pourrait m’accorder, je ne l’accepterais pas… ma conscience ne me permettrait pas de l’accepter si je savais que cela dût la faire manquer à ses devoirs envers vous. — Votre conscience est par trop scrupuleuse, jeune homme. Exposez le cas à quelque rabbin non-conformiste, à un de ces hommes qui prennent tout ce qui vient dans leurs filets, et il vous dira comme moi que c’est pécher contre la glace que de refuser ce qui nous est gratuitement offert. — Quand l’offre est gratuite ou amicale, mais non quand elle est ironique ou insultante. Adieu, Alice… Si quelque chose pouvait m’engager à profiter du souhait cruel de votre père, qui voudrait vous éloigner de lui dans un moment où il conçoit d’indignes soupçons, ce serait l’idée qu’en se laissant aller à de tels sentiments, sir Henri Lee opprime en tyran la créature qui, plus que tout autre, désire et a besoin de son affection… qui ressentirait l’effet de sa sévérité… et qu’il est tenu à chérir et à défendre plus que tout autre. — Ne craignez pas pour moi, monsieur Éverard, » s’écria Alice perdant toute sa timidité par la crainte des suites que peut avoir une dispute, surtout durant une guerre civile où les parents et les amis sont ligués les uns contre les autres. « Oh ! partez, je vous en conjure, partez ! Il n’y a que ces malheureuses haines de famille… il n’y a que votre présence ici, dans ce fatal moment, qui puisse troubler notre amitié entre mon père et moi ! Pour l’amour du ciel, laissez-nous ! — Oh ! oh ! ma mie, » dit le vif et vieux Cavalier, vous parlez déjà en souveraine : et qui le pourrait mieux que vous ?… vous commanderiez à notre suite, je le parierais, comme Goneril et Régane[1]. Mais personne ne quittera ma maison… et, tout humble qu’elle est, cette hutte est encore ma maison, tant qu’il y a quelque chose à me dire qui ne soit pis encore dit. Et comme ce jeune homme parle maintenant à voix basse, et fronce les sourcils… Parlez haut, monsieur, et faites-nous part même de vos plus mauvaises observations. — Ne craignez pas que je m’emporte, mistress Alice, » dit Éverard avec autant de calme que de douceur ; « et vous, sir Henri, ne croyez pas que, si je parle d’un ton ferme, ce soit avec colère ou par fanfaronnade. Vous ns’avez adressé des injures telles que, si j’étais guidé par l’esprit outré d’une chevalerie romanesque, malgré même notre proche parenté, je ne pourrais sans manquer d’égard à ma naissance, sans perdre l’estime du monde, passer outre sans y répondre. Avez-vous l’intention de m’écouter avec patience ?

  1. Les deux filles du roi Lear. a. m.