Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/94

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semblait devoir être plongée. Examinant sous un point de vue général la situation tout-à-fait désespérée des royalistes, et celle des différentes factions qui agitaient alors l’État, il lui indiquait les moyens de les étouffer sans effusion de sang et sans violence. De cette manière, il fut ainsi amené à soutenir qu’il fallait entourer le pouvoir exécutif de la dignité convenable, en quelque main qu’il fût placé, et que Cromwell, fût-il stathouder, consul ou lieutenant-général de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, devait avoir des domaines et une résidence dignes de son titre. Il passa alors naturellement à la destruction, au ravage des résidences royales d’Angleterre, fit un touchant tableau de la démolition qui menaçait Woodstock, et demanda la conservation de ce magnifique château comme une faveur personnelle qui était pour lui de la plus haute importance.

Le colonel Éverard, après avoir terminé sa lettre, n’eut pas une très haute opinion de lui-même. Durant le cours de sa carrière politique, il avait évité jusqu’alors de mêler ses affaires personnelles aux raisons qui déterminaient sa conduite publique, et en cette circonstance il venait de déroger à ses habitudes. Mais il se rassura, ou du moins chercha à oublier cette triste réflexion, en songeant que le bonheur de l’Angleterre, par rapport au temps, exigeait impérieusement que Cromwell prît les rênes, et que l’intérêt de sir Henri Lee, ou plutôt sa sûreté et son existence ne demandaient pas moins expressément la conservation de Woodstock et la permission pour son oncle de l’habiter encore. Était-ce sa faute si l’on pouvait obtenir ce résultat de deux manières, ou si son intérêt privé et celui du pays se confondaient dans la même lettre ? Il s’enhardit donc à agir ainsi, plia sa lettre, y mit l’adresse du lord général, et la scella de ses armes. Cela fait, il se laissa tomber sur le dos de sa chaise, et, contre son attente, il s’endormit au milieu de ses réflexions, quelque inquiétantes et terribles qu’elles fussent ; il ne s’éveilla que lorsque le crépuscule commença à percer à travers la fenêtre.

Il tressaillit d’abord, se leva avec les sensations d’un homme qui se réveille dans un lieu qui lui est inconnu ; mais les localités revinrent bientôt s’offrir à sa mémoire. La lampe prête à s’éteindre, les tisons éteints et recouverts d’une cendre blanchâtre, le sombre portrait sur la cheminée, la lettre scellée sur la table… tout lui rappela les événements de la veille et le sujet de toutes ses réflexions de la nuit.