Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/103

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voyoit que par derrière, elle avoit couru à lui les bras ouverts en criant : Ha ! mon pauvre Sire. Une autre chose qui nous fit fort rire, en ce temps-là, fut une plaisanterie que M. le cardinal fit à Mme de Bouillon, qui pouvoit avoir six ans. La Cour étoit pour lors à la Fère. Un jour qu’il la railloit, sur quelque galant qu’elle devoit avoir, il s’avisa à la fin de lui reprocher qu’elle étoit grosse. Le ressentiment qu’elle en témoigna le divertit si fort, qu’on résolut de continuer à le dire. On lui rétrécissoit ses habits de temps en temps, et on lui faisoit accroire que c’étoit elle qui avoit grossi. Cela dura autant qu’il falloit pour lui faire paroître la chose vraisemblable ; mais elle n’en voulut jamais rien croire, et s’en défendit toujours avec beaucoup d’aigreur, jusqu’à ce que le temps de l’accouchement étant arrivé, elle trouva un matin entre ses draps un enfant qui venoit de naître. Vous ne sauriez comprendre quel fut son étonnement et sa désolation à cette vue. Il n’y a donc, disoit-elle, que la Vierge et moi à qui cela soit arrivé, car je n’ai du tout point eu de mal. La Reine la vint consoler, et voulut être marraine : beaucoup de gens vinrent se réjouir avec l’accouchée ; et ce qui avoit été d’abord un passe-temps domestique, devint à la fin un divertissement public, pour toute la Cour. On la pressa fort de déclarer le père de l’enfant ; mais tout ce qu’on en put tirer, fut que ce ne pouvoit être que le Roi ou le comte de Guiche, parce qu’il n’y avoit que ces deux hommes-là qui l’eussent baisée. Pour moi qui avois trois ans plus qu’elle, j’étois toute glorieuse de savoir la vérité de la chose ; et je ne pouvois me lasser d’en rire, pour faire bien voir que je la savois.