Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/110

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dix mille pistoles en or. J’en fis bonne part à mon frère et à mes sœurs, pour les consoler de mon opulence, qu’elles ne pouvoient voir sans envie, quelque mine qu’elles fissent. Elles n’avoient pas même besoin de m’en demander. La clef demeura toujours où elle étoit quand on l’apporta ; en prit qui voulut, et un jour entre autres que nous n’avions pas de meilleur passe-temps, nous jetâmes plus de trois cents louis par les fenêtres du palais Mazarin, pour avoir le plaisir de faire battre un peuple de valets qui étoit dans la cour. Cette profusion étant venue à la connoissance de monsieur le cardinal, il en eut tant de déplaisir, qu’on crut qu’elle avoit hâté sa fin. Quoi qu’il en soit, il mourut huit jours après9, et me laissa la plus riche héritière, et la plus malheureuse femme de la chrétienté.

À la première nouvelle que nous en eûmes, mon frère et ma sœur pour tout regret se dirent l’un à l’autre : Dieu merci il est crevé. À dire vrai, je n’en fus guère plus affligée ; et c’est une chose remarquable qu’un homme de ce mérite, après avoir travaillé toute sa vie pour élever et enrichir sa famille, n’en ait reçu que des marques d’aversion, même après sa mort. Si vous saviez avec quelle rigueur il nous traitoit en toutes choses, vous en seriez moins surpris. Jamais personne n’eut les manières si douces en public, et si rudes dans le domestique ; et toutes nos humeurs et nos inclinations étoient contraires aux siennes. Ajoutez à cela la sujetion incroyable où il nous tenoit, notre extrême jeunesse, et l’insensibilité pour toutes cho-


9. Le cardinal Mazarin mourut le 9 mars 1661.