Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/159

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Après des raisons si légitimes, vous serez surpris d’apprendre que tout le monde blâma ma résolution ; mais les jugements des gens de cour sont bien différents de ceux des autres hommes. Mme de Montespan, et Mme Colbert entre autres, firent tout ce qu’elles purent pour me faire demeurer, et M. de Lauzun me demanda ce que je voulais faire avec mes vingt-quatre mille francs ? Que je les mangerois au premier cabaret, et que je serais contrainte de revenir après, toute honteuse, en demander d’autres, qu’on ne me donneroit pas ; mais il ne savoit pas que j’avois appris à ménager l’argent. Ce n’est pas que je ne visse qu’il m’étoit impossible de subsister longtemps honnêtement, avec cette somme ; mais outre que je n’en pouvois pas obtenir davantage, et que M. Mazarin ne vouloit pas même me permettre de la manger à Paris, sans être avec lui, je faisois mon compte qu’elle me donneroit du moins le temps de prendre d’autres mesures. M. Mazarin, ne pouvant faire pis, s’avisa de dire au Roi : que je me faisois faire un justaucorps d’homme, pour m’en aller habillée de cette sorte ; mais Sa Majesté eut encore la bonté de lui dire : qu’elle l’assuroit que cela ne seroit pas.

Mme Bellinzani eut ordre de me conduire, avec un exempt, jusqu’à Rome, et deux gardes du corps avec eux jusqu’à la frontière. Je reçus tant d’honnêtetés de M. le duc de Savoie, en passant à Turin, que je résolus dès lors de ne me point retirer autre part que dans ses États, si je quittois jamais Rome. J’y arrivai enfin, après avoir été trois mois en chemin, et Grillon y arriva aussi, peu de temps après, pour me replonger, malgré que j’en eusse, dans de nouveaux embarras.