Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/163

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Connétable ayant dit à dîner : qu’il alloit à douze milles de Rome voir un de ses haras, et qu’on ne l’attendît pas le soir, s’il demeuroit trop à revenir ; ma sœur voulut absolument partir, quoique nous n’eussions encore rien de prêt. Nous dîmes que nous allions à Frescati, et nous montâmes dans mon carrosse avec une de ses femmes et Nanon, habillées en hommes comme nous, avec nos habits de femmes par-dessus. Nous arrivâmes à Civita-Vecchia à deux heures de nuit, que tout étoit fermé, si bien que nous fûmes contraintes de nous enfoncer dans le plus épais du bois, attendant qu’on eût trouvé notre barque. Mon valet de chambre, qui avoit été seul de tous nos gens assez résolu pour nous conduire, ayant couru longtemps inutilement pour la chercher, en loua mille écus une autre qu’il rencontra par hasard. Cependant mon postillon, s’impatientant de n’avoir point de nouvelles, monta sur un des chevaux du carrosse, et fut si heureux, qu’à la fin il trouva la nôtre. Il étoit bien nuit quand il en revint ; il nous fallut bien faire cinq milles à pied pour y aller, et nous nous embarquâmes enfin, à trois heures, sans avoir bu ni mangé depuis Rome. Notre plus grand bonheur fut d’être tombées entre les mains d’un patron également habile, et homme de bien. Tout autre nous auroit jetées à la mer, après nous avoir volées : car il vit bien d’abord que nous n’étions pas des gueuses. Il nous le disoit lui-même ; ses bateliers nous demandoient si nous avions tué le Pape ; et pour ce qui est d’être habiles, il suffit de vous dire qu’ils firent canal à cent milles de Gênes. Au bout de huit jours, nous débarquâmes à la Cioutat en Provence, à onze