Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/251

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personnes familières avec la langue du dix-septième siècle, et au courant de la controverse agitée dans le grand monde des salons, sur la nature de l’amitié, discussion si saisissante dans le livre de M. Cousin, sur Mme de Sablé, l’emploi du mot trafic pour échange de services, ou commerce de sentiments, n’a rien qui doive surprendre. Trafic étoit fréquemment employé au figuré. Le P. Bouhours dit qu’il y a un trafic entre les langues ; et Mme de Sévigné, qu’elle trafique en plusieurs endroits. Un esprit délicat comme Saint-Évremond ne pouvoit appliquer ce mot à l’amitié, dans un sens positif. Mais, pour Mme de Sablé, l’amitié, loin d’avoir l’essence d’un commerce, étoit un sentiment pur et désintéressé, une vertu ; elle le dit elle-même dans ses Maximes. C’est l’idée à laquelle Saint-Évremond, après les émotions de trente années, est revenu, sur la terre étrangère, auprès de Mme de Mazarin, en 1676, dans un fragment sur l’amitié, qui est l’une des compositions les plus suaves de notre auteur.

L’idée d’amitié-trafic n’étoit même point personnelle à Saint-Évremond, en 1647. Elle venoit de l’école sensualiste. Gassendi avoit préconisé les avantages de l’amitié, plus que sa nature vertueuse, en exposant la doctrine d’Épicure ; et Hobbes a dit plus tard, et plus brutalement que Gassendi : « Pourquoi les amitiés sont-elles des biens ? parce qu’elles sont uliles. » Saint-Évremond, avec le goût François, étoit resté plus mesuré dans l’expression. Du reste, M. Esprit, janséniste, et l’un des personnages considérés du salon de Mme de Sablé ; M. Esprit, dont les Maximes n’ont été imprimées qu’en 1678, bien après l’impression de celles de