Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/253

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l’amitié. À leurs yeux, l’amitié qui a l’intérêt pour mobile est une amitié dégradée.

Telle n’étoit point, à la rigueur, la pensée des partisans du trafic. Mais, quoi qu’il en soit, Saint-Évremond professe désormais avec effusion, le désintéressement de l’amitié. Quel homme aimable que celui qui écrit ces lignes charmantes : « De tous les liens, celui de l’amitié m’est le plus doux ; et n’étoit la honte qu’on ne répondît pas à la mienne, j’aimerois, par le plaisir d’aimer, quand on ne m’aimeroit pas. Dans un faux sujet d’aimer, les sentiments d’amitié peuvent s’entretenir par la seule douceur de leur agrément. Dans un vrai sujet de haïr, on doit se défaire de ceux de la haine, par le seul intérêt de son repos. »

Ailleurs, il veut qu’on immole tout à l’amitié, même la justice, et il s’autorise du mot d’Agésilas : « La justice, dit-il à la duchesse, n’est qu’une vertu établie pour maintenir la société humaine : c’est l’ouvrage des hommes. L’amitié est l’ouvrage de la nature ; l’amitié fait toute la douceur de notre vie, quand la justice, avec toutes ses rigueurs, a bien de la peine à faire notre sûreté. Si la prudence nous fait éviter quelques maux, l’amitié les soulage tous ; si la prévoyance nous fait acquérir des biens, c’est l’amitié qui en fait goûter la jouissance. Avez-vous besoin de conseils fidèles, qui peut vous les donner qu’un ami ? À qui confier vos secrets, à qui ouvrir votre cœur, à qui découvrir votre âme, qu’à un ami ? Et quelle gêne seroit-ce d’être tout resserré en soi-même, de n’avoir que soi pour confident de ses affaires et de ses plaisirs ! Les plaisirs ne sont plus plaisirs, dès qu’ils ne sont pas com-